Source : Organes sans corps, Deleuze et conséquences par Slavoj Žižek, éditions Amsterdam.
Premièrement, la vérité est posée comme l’au-delà
inaccessible, quelque chose qui ne peut être qu’approché et qui manque toujours
au sujet.
Ensuite, l’accent passe à la notion de vérité en tant
qu’elle intervient dans les moments de glissement et de distorsion, dans les
interstices du discours ordinaire : la vérité fait irruption lorsque la
ligne continue de notre parole est interrompue et perturbée.
Nous arrivons enfin à une troisième position, celle du
moi, la vérité, je parle. Le passage du sujet à l’objet est ici essentiel. Ce
n’est pas que ce que dit le sujet est vrai ; c’est la vérité elle-même qui
parle, qui passe du prédicat (une qualification des affirmations du sujet) au
sujet de l’énonciation. C’est ici que la vérité se transforme en « organe
sans corps » commençant à parler.
Les deux premières versions ont en commun l’idée que la
vérité est un au-delà inaccessible : elles en sont précisément les deux
versions. Puisque sa place est au-delà, la vérité n’apparaît jamais « en
tant que telle », mais toujours et seulement sur un mode réfracté ou
distordu, où, écrivait Lacan, la vérité ne peut que se mi-dire.
C’est seulement sur le troisième mode que la vérité en
tant que telle peut parler : mais comment ? Sous forme d’une fiction,
ou, pour le dire autrement, sur le mode du discours du fou, du bouffon. Depuis
Paul, qui se qualifiait lui-même de bouffon, jusqu’à Nietzsche.
Mais cette position de celui à travers qui la vérité
parle ou agit directement, n’est-elle pas l’illusion perverse absolue ? Ne
repose-t-elle pas à l’évidence sur l’existence d’un Grand Autre, comme dans le
marxisme-léninisme stalinien où le Parti se pose comme exécuteur de la
nécessité historique ?
Ce contre-argument implique un malentendu
fondamental : l’objet qui commence à parler est l’objet qui tient lieu de
manque et/ou d’inconsistance du Grand Autre, du fait que le Grand Autre
n’existe pas. « Moi, la Vérité, je parle » ne signifie pas qu’à
travers moi parle la grande vérité métaphysique elle-même, mais que les
incohérences et les lapsus de ma parole se connectent directement aux
incohérences et aux incomplétudes de ma vérité elle-même.
« Je dis toujours la vérité : pas toute, parce que toute la dire, on n’y arrive pas. Les mots manquent et c’est même par cet impossible que la vérité tient au réel. » (Jacques Lacan)
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