« J’aime la Russie mais la Russie ne nous aime pas »

 

Source : Petite chronique d’une libération : L’Assassinat du Père Alexander Mègne (1990), in. Russie-Europe, la fin du schisme, études littéraires et politiques (1991) par Georges Nivat, éditions L’Âge d’Homme, collection Slavica, relecture dix ans après.

Ce crime affreux, commis à la hache, et qui n’est pas crapuleux, puisque ni la croix pectorale en argent, ni le portefeuille de la victime ne lui ont été dérobé, épouvante et inquiète. On ne peut que faire des conjectures, mais il y en a déjà beaucoup qui courent à Moscou. On ne peut s’empêcher de songer au martyre du père Popieluzko en Pologne, bien que le contexte soit évidemment très différent.

Ce peut être l’œuvre d’antisémites dévoyés, mais ce serait le premier assassinat de ce genre en ces temps. Ce peut être le fait de forces obscures qui tentent de faire passer ce meurtre pour l’œuvre de « Pamiat », l’organisation chauvine qui rappelle l’Union de l’Archange Michel du début du siècle. On n’ose formuler d’hypothèses plus avancées, mais il faut rappeler qu’il y a eu plusieurs activistes chrétiens, anciens dissidents religieux, qui ont été battus systématiquement ces derniers temps. On a su qu’en Lettonie un militant baptiste avait également été battu dans un guet-apens de ce genre.

Peut-être n’a-t-on voulu que donner une « leçon » au père Alexandre Mègne et la mort n’était pas prévue… Pourtant, l’arme même du crime fait penser qu’on a voulu éveiller les plus obscures pulsions dans une partie de la population, pour qui ce prêtre pour intellectuels, juif d’origine, et qui avait pris l’offensive intellectuelle contre l’athéisme, soulevait une haine sourde. Il y a en réserve, dans la Russie, comme dans tout empire en décomposition, d’implacables haines, des instincts de vengeance contre tout ce qui est intellectuel, tous ceux qui veulent changer les choses, et aussi un tréfonds antichrétien qu’on a bien vu à l’œuvre en ce siècle. 

Car, dans le grand naufrage actuel, on le voit bien, il ne subsiste plus qu’une forme vivante de vie intellectuelle : la religion. La hache contre l’icône, cela s’est déjà vu, cela a déjà débouché sur des ras-de-marées de sauvagerie. C’est pourquoi l’assassinat du père Alexandre fait peur.

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