Source : Dostoïevski, face à la mort ou le sexe hanté du langage par Julia Kristeva, éditions Fayard.
La souffrance est
la doublure de ma parole, de ma civilisation. En deçà d’elle, il n’y aurait que
la perte de Soi dans la nuit du corps. La souffrance, doublure de la
conscience ? La crise épileptique impose ce constat :
« Crise à six
heures du matin. Le jour et presque l’heure du supplice de Troppmann. Je ne
l’ai pas entendue, je me suis réveillé à huit heures avec la conscience d’une
crise. La tête faisait mal, le corps était brisé. En général, les suites de la
crise, c’est-à-dire nervosité, affaiblissement de la mémoire, état brumeux et
en quelque sorte contemplatif se prolongent maintenant davantage que les années
précédentes. Avant, cela se passait en trois jours et maintenant, pas avant six
jours. Le soir surtout, aux bougies, une tristesse hypocondriaque, sans objet,
comme une nuance rouge, sanglante, non pas une teinte, mais répandue sur
tout… »
Rire nerveux,
tristesse mystique, répète-t-il en référence à l’acédie des moines du Moyen
Âge. « Comment écrire ? Souffrir, beaucoup souffrir. »
Cette intimité avec
la souffrance a probablement conduit l’écrivain à la vision de l’humanité de
l’homme qui réside moins dans la recherche d’un plaisir, mais déborde en
définitive par « l’au-delà du principe de plaisir » ainsi que dans
l’aspiration à une souffrance voluptueuse. La souffrance, une pulsion de mort
encapsulée dans l’énergie de la dire, un sadisme entravé par la conscience qui
veille sur le Moi devenu douloureux et capricieusement pensif.
« La méchanceté, à cause de ces maudites lois de la conscience, elle est soumise à une désagrégation chimique. Un geste et l’objet devient gazeux, les raisons s’évaporent, le coupable disparaît, l’offense cesse d’être une offense, elle devient un fatum, comme une rage de dents dont personne n’est coupable. »
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