Suprématiste

 

Source : En public, poétique de l’auto-design par Boris Groys, éditions P.U.F., collection Perspectives critiques.

Avec le Carré noir (1915), Malevitch entreprit une réduction pure entre la peinture et son cadre, entre l’objet contemplé et l’espace de contemplation, entre le un et le zéro. En effet, nous ne pouvons échapper au carré noir, quelle que soit l’image que nous voyons, elle est en même temps un carré noir. Il en va de même pour le geste du ready made introduit par Duchamp ; quoi que nous voulons exposer, quoi que nous voyons être exposé, tout exposition présuppose ce geste.

Il est donc permis d’affirmer que l’art d’avant-garde produit des images transcendantales, au sens kantien du terme, c’est-à-dire des images manifestant les conditions de l’émergence et de la contemplation de toutes les autres. L’art de l’avant-garde n’est pas seulement celui du messianisme faible, mais aussi celui de l’universalisme faible. Il est aussi celui qui fait usage des signes nuls, vidés par l’imminence de l’événement messianique ; et qui se manifeste par des images faibles, par des images à visibilité faible, par des images qui, de manière structurelle, ne sont pas forcément remarquées lorsqu’elles participent à la composition d’images fortes, à haut degré de visibilité, comme celles de l’art classique ou de la culture de masse.

L’avant-garde a rejeté l’originalité puisque son but n’était pas l’invention, mais la découverte de l’image transcendantale, répétitive et faible… Toute image réalisée dans quelque contexte culturel que ce soit est aussi un carré noir, puisqu’elle lui ressemblera si elle est effacée. C’est-à-dire que, pour un regard messianique, toute image apparaît toujours-déjà comme un carré noir. C’est lui qui a fait de l’avant-garde le véritable moment inaugural de l’art universaliste, démocratique. Mais son pouvoir universaliste est un pouvoir de faiblesse, d’auto-effacement, parce que sa revendication d’universalité ne peut se justifier que par la production de la plus faible image possible.

Commentaires