Rouge et noir

 

Le rouge sur fond noir, tel est le coloris des Démons, à côté de rares annotations de jaune, vert, pâle, blanc et or. Comme toujours chez Dostoïevski, les connotations sont multiples. Nombre de scènes sont nocturnes et la Russie sombre dans les ténèbres nihilistes. Le sang coule et le rouge de l’Apocalypse révolutionnaire envahit le tableau.

C’est la cravate rouge de Stepan Trofimovic, « Quelle idée rouge » s’écrie Varvara Petrovna, le nom même de Karmazinov, formé sur le radical cramoisi, l’araignée rouge du rêve de Stavroguine, le rougeoiement de l’incendie dans la nuit noire, la flaque de sang dans laquelle baignent les Lebiadkine, la grosse boîte d’allumettes rouge du sang de Kirilov, l’armoire éclaboussée de sang, etc.

La nuit éclatée de taches sanglantes est l’enfer du crime, de la Révolution et de Satan : telle est l’indéniable symbolique première. Mais l’effet, Dostoïevski ne l’a-t-il pas éprouvé d’abord sur lui-même lorsqu’il notait, dans les carnets des Démons, le sixième jour après la crise du 19 janvier 1870, que le soir, surtout, aux bougies, il était envahi par une tristesse hypocondriaque et qu’il voyait « comme un halo rouge, sanglant, pas seulement une teinte, une couleur répandue sur toute chose. » Peut-être n’y a-t-il là, tant le coloris est surchargé de significations politiques, spirituelles, également présentes chez Gogol et Biély, qu’une convergence souterraine entre vécu morbide et exploitation romanesque.

Jacques Catteau : La Création littéraire chez Dostoïevski

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