Purple Skull

 

Source : La Création littéraire chez Dostoïevski par Jacques Catteau, Bibliothèque Russe de l’Institut d’Études Slaves, tome XLIX

La nuit est le temps de l’expérience, de la mise à l’épreuve par l’écriture des fruits de l’oisiveté travailleuse de la journée. La nuit est le lieu d’élection non de l’univers dostoïevskien où solaire et nocturne coexistent, mais de la création romanesque, et surtout du processus créateur.

Celui-ci apparaît comme un immense et laborieux effort pour dissiper les ténèbres d’une idée obscure au départ, tant elle est chargée comme les nuées d’une mousson, d’une pensée dense, globale, sollicitée dans mille directions, comme sursaturée, nourrie de réel, de vécu, de faits divers lus hier ou avant-hier, de desseins bercés depuis des mois, bousculée par l’actualité, freinée par le déjà créé, entraînée dans le vertige de l’incréé, subjuguée par le surgissement « d’univers entiers », « d’images colossales », soucieuse de dialoguer avec les grandes ombres du passé, et les grands contemporains, ardente de philosophie et inquiète de l’effet à produire.

C’est la nuit douloureuse de la gestation, lieu de passage entre deux clarté : celle de l‘émanation et celle de la création. Cette dernière est surgissement, moins d’une surabondance incontrôlée, comme le pense Strakhov, que d’une totalité acceptée dans sa complexité. À la limite, c’est tout l’univers dostoïevskien qui se dresse massivement à chaque amorce de roman. Comment l’inspiration pourrait-elle être aisée, lumineuse, aérienne ? Comment pourrait-elle être une grâce comme chez Pouchkine et Stendhal ? La création chez Dostoïevski, comme l’homme est sa pensée, est selon le mot de Tolstoï, toute lutte.

En hésitant, tâtonnant, expérimentant, elle ordonne un chaos levé de vies, indicibles dans son entier à dire, de telle sorte que le roman reflète cette tonalité. Tâche dont l’ampleur exige du génie mais aussi une méthode, un rythme de travail.

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