Orbite déchiquetée

 

Source : Éloge d’un krach virtuel, in. Écran total par Jean Baudrillard, éditions Galilée, recommandé par Neûre aguèce.

Quand la dette devient trop encombrante, on l’expulse dans un espace virtuel, où elle fait figure de catastrophe congelée sur son orbite. La dette devient un satellite comme la guerre est devenue un satellite de la terre, comme les milliards de dollars de capitaux flottants sont devenus un amas-satellite qui tourne inlassablement autour de la terre.

Et c’est sans doute mieux comme ça. Le temps qu’ils tournent, et même s’ils explosent dans l’espace, tels les milliards « perdus » dans le krach de 1987, le monde n’en est pas changé, et c’est ce qu’on peut espérer de mieux. Car l’espoir « rationnel » de réconcilier l’économie fictive et l’économie réelle est parfaitement utopique : ces milliards de dollars n’existent que virtuellement, ils sont intransposables en économie réelle…

Heureusement d’ailleurs, puisque, si par on ne sait quel prodige, on pouvait les réinjecter dans les économies de production, ce serait là pour le coup une véritable catastrophe. De même, ne cherchons surtout pas à réunir les deux parties dissociées de la guerre, laissons la guerre virtuelle sur orbite, car c’est là où elle nous protège : dans son abstraction extrême, dans son excentricité monstrueuse, le nucléaire est notre meilleure protection.

Et habituons-nous à vivre à l’ombre de ces excroissances monstrueuses : la bombe orbitale, la spéculation financière, la dette mondiale, la surpopulation pour laquelle il n’a pas encore été trouvé de solution orbitale hormis peut-être, là aussi, dans la circulation, dans la mobilisation excentrique des excédents. Telles qu’elles sont, elles s’exorcisent dans leur excès, dans leur hyper-réalité même, et laissent le monde en quelque sorte intact, délivré de son double.

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