Source : En public, poétique de l’auto-design par Boris Groys, éditions P.U.F., collection Perspectives critiques.
Depuis la procréation et l’assistance en soins
médicaux, tout au long de la vie, en passant par la régulation de l’équilibre
entre travail et loisir, jusqu’à la mort assistée, si ce n’est provoquée
médicalement, la vie de chaque individu est désormais soumises en permanence au
contrôle artificiel et au perfectionnement. Et précisément parce que la vie
n’est plus perçue comme l’événement premier, élémentaire de l’être, soumis au
destin ou à la fortune, comme le produit d’un temps se déroulant de lui-même
mais comme un temps pouvant être conçu et mis en forme de manière artificielle,
une telle vie peut être documentée et archivée avant même qu’elle ne se
produise.
En effet, la documentation bureaucratique et
technologique constitue le moyen principal des biopolitiques modernes. Les
calendriers, règlementations, rapports d’enquêtes, analyses statistiques et
avant-projets que comprend ce genre de documentation génèrent de la vie
nouvelle en permanence. Même l’archive génétique contenue en chaque être vivant
peut au final se comprendre comme une des composantes de cette documentation, nous
informant sur la structure génétique des organismes anciens, obsolètes, mais
permettant en même temps à cette structure génétique de servir de brouillon en
vue de la création de futurs organismes vivants.
Cela signifie que, dans l’état actuel des biopolitiques,
l’archive ne nous permet plus de faire la différence entre le souvenir et le
projet, entre le passé et le futur. D’ailleurs, cela permet aussi de proposer
un fondement rationnel à ce que la tradition chrétienne a nommé résurrection,
et à ce qui, dans les domaines politiques et culturels, s’appelle renaissance.
Puisque l’archive des formes passées de la vie peut à tout moment se
transformer en brouillon pour le futur. Une fois stockée dans les archives en
tant que document, la vie peut être revécue et reproduite à maintes reprises à
l’intérieur du temps historique, pourvue que quelqu’un se décide à entreprendre
une telle reproduction.
L’archive est le lieu où le passé et le futur deviennent interchangeables.
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