« L’âge mûr c’est la période de la vie qui précède l’âge pourri »

Source : L’Émigré par Günther Anders, éditions Allia.

Si nous dûmes faire le deuil du statut d’adulte, cela ne veut naturellement pas dire que nous eûmes la chance de gagner la jeunesse éternelle. Seul le plus petit nombre d’entre nous, les plus vigoureux, les plus entreprenants, réussit à faire de nécessité vertu, c’est-à-dire à faire d’une situation de renoncement l’occasion d’une véritable jeunesse. Nous n’étions pas jeunes, nous étions plutôt « non-adultes », « inadultes. » Alors que les jeune gens ne sont pas encore adultes, nous n’étions toujours pas adultes, voire plus du tout adultes, comme en attestèrent les pires formes de désorientation biographique. Certains visages prenaient simultanément et à un rythme effréné, des expressions séniles et juvéniles à la fois…

Nous nous étions laissé entraîner, quel que fût par ailleurs le point de vue intérieur ou extérieur depuis lequel nous considérions la chose, dans une vie non valable, un état que l’on pourrait qualifier de « pubertaire » en raison de ses ressemblances avec la façon de vivre des personnes dont le développement n’est pas encore achevé. À une différence près, cependant, notre état s’apparentait plutôt à une puberté prolongée ou bien, ce qui était le cas le plus fréquent, à une régression dans la puberté, depuis longtemps révolue, pour ceux qui considéraient leur nouvelle vie seulement comme une sorte d’épilogue fantomatique de l’ancienne, la seule valable à leurs yeux.

Pourtant, il ne m’est pas difficile de réhabiliter cette régression, et ce, pour une raison très simple : nous étions placés devant une alternative. Soit nous assimiler à tout prix, soit régresser dans ledit état pubertaire, qui ne laissait place à aucune option tierce… En d’autres termes, en faisant le choix de la « puberté », nous accomplîmes un sacrifice que nous jugeâmes indispensable pour rester debout. Y voir un signe d’immaturité collective serait donc absurde. Pour des personnes, dont la dignité venait d’être si effroyablement bafouée, et qui, de surcroît, couraient le risque de porter eux-mêmes atteinte à leur dignité, le parti qu’ils ne devaient pas prendre ne faisait strictement aucun doute.  

Commentaires