Source : La Création littéraire chez Dostoïevski par Jacques Catteau, Bibliothèque Russe de l’Institut d’Études Slaves, tome XLIX
Y a-t-il sur le plan de la forme une influence des
goûts picturaux de Dostoïevski sur sa création. S’il fallait trouver quelque
correspondance immédiate avec la peinture, l’art de Dostoïevski pourrait être
rattaché à l’expressionnisme.
Comme Munch, Nolde, Rouault, Kokoschka, Soutine,
l’artiste russe privilégie l’expression de la passion et en résout les
problèmes purement plastiques qu’en fonction du jaillissement psychique où
angoisses métaphysique ou sociales sont traitées sur un mode tragique ou
dérisoire. Les couleurs signes, les déformations signifiantes, les dissonances
voulues qu’on constate chez le romancier prouvent à elles seules qu’il n’y a
aucun rapport forme entre son écriture et la composition sereine, l’harmonie
large et aisée, quasi-céleste, la géométrie délicieuse des triangles renversés,
diagonales et ovales, conjugaison fertile des volumes, qu’offre la Madone de
Saint-Sixte de Raphaël.
Tout au plus, peut-on trouver des confluences thématiques.
Ainsi, les rayons obliques du soleil couchant dans le tableau de Lorrain qui
plaisent tant à Dostoïevski ne sont pour lui qu’un motif familier apparu pour
la première fois en 1847, dans un Cœur faible. De même, le Christ mort
que propose Holbein, avec son regard froid, sa facture incisive, son réalisme
plus puissant que celui de Grünewald dans la Crucifixion de Carlsruhe, n’est
pas sans rappeler au mémorialiste de la Maison des morts le saisissant
cadavre qu’il peignit dans le chapitre À l’hôpital….
Dostoïevski est un maître de l’estampe aux noirs
d’ébène et aux reflets d’eau, ce que Leonid Grossman appelle ses « sombres
eaux-fortes. » Il le montre dès ses premières créations. Une des plus
belles gravures est le paysage que le vieil Ihmenev indique à Ivan Petrovic
dans Humiliés et Offensés :
« Et d’un geste rapide et involontaire, il me
désigna la perspective brumeuse de la rue, faiblement éclairée par les
réverbères clignotants dans le brouillard humide, les maisons sales, les dalles
des trottoirs luisants d’humidité, les passants trempés, moroses et renfrognés,
tout ce tableau qu’embrassait la coupole noire et comme noyée d’encre de Chine
du ciel de Pétersbourg. Nous avions débouché sur la place, devant nous se
dressait la statue de Nicolas Ier, éclairée d’en bas, par les becs de gaz et
plus loin s’élevait l’énorme masse sombre de Saint-Isaac qui se détachait de la
teinte obscure du ciel. »
Après ces lignes, faut-il s’étonner que les meilleures
illustrations de l’œuvre du romancier soient des gravures, bois ou cuivres,
celle de M. Dobužinsky pour les Nuits blanches et celles d’A. A. Ušin
pour L’Idiot et la Douce ?
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