Source : La Création littéraire chez Dostoïevski par Jacques Catteau, Bibliothèque Russe de l’Institut d’Études Slaves, tome XLIX
Dans Le Maître et Marguerite de M. Boulgakov, le
diable restitue au Maître son roman, que celui-ci avait pourtant brûlé dans sa
folie, et il déclare : « Les manuscrits ne brûlent pas. » Le
fantastique est symbolique, l’œuvre d’art accède à l’immortalité dans l’acte même
de sa création. Chez Dostoïevski, un phénomène identique pour l’argent peut
être observé : celui-ci, surtout les billets, pourtant éminemment
périssable, semblent toujours miraculeusement préservés de la destruction…
De ce point de vue, l’univers dostoïevskien ressemble à
un vaste système circulatoire où un sang vicié et fou, l’argent, traverse les
cellules des individus, nourrissant à peine celui-ci, gavant celui-là, et, sans
jamais se détruire, poursuivrait son vagabondage désordonné. L’argent
n’apparaît indestructible que pare que les hommes ne peuvent pas ou n’osent pas
le détruire… « Presque aussitôt l’enveloppe de papier était consumée, mais
on voyait tout de suite que l’intérieur n’avait pas été atteint. Trois feuilles
de papier-journal protégeaient le paquet et l’argent était intact. Il y eut un
soupir de soulagement général. »
« Les billets de banque ne brûlent pas », ricane le Satan dostoïevskien. L’écrivain leur accorde même une vie outre-tombe : que font les cadavres en décomposition dans le cimetière de la satire fantastique Bobok, sinon de parler de ce qui les a tenus prisonniers toute leur existence, d’argent, de fausse monnaie, de dots, de sommes détournées. L’argent est impérissable, il pourrit et pourrit tout, indéfiniment.
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