Anti-professionnel

 

Nous avons plus souvent écrit sur nos genoux qu’à une table de travail. Sans destiner nos textes à quiconque, si ce n’est aux lecteurs de demain, plutôt qu’à de pressants directeurs de rédaction. Pour les fonds de tiroir et les valises, plutôt que pour les rayonnages de bibliothèques. Quels enseignements ces années ne nous ont-elles pas permis de tirer ! À aucun moment, nous n’entendîmes dire que l’on avait le droit de nous arracher des mains un projet à l’état de simple ébauche ; pas une fois, nous ne nous souciâmes du qu’en dira-t-on, ni ne nous demandâmes si notre texte pouvait être terminé « à l’heure dite. » À quelle heure donc ? Quelle chance inestimable que de se demander si quelqu’un avait vraiment besoin de ce que l’on écrivait, et pour qui on souhaitait écrire ! Quelle chance que de pouvoir tailler dans le vif d’un texte à moitié réussi, que de mettre au rebut un projet qui s’enlisait, et de libérer ainsi de la place pour des bottes ou du pain dans son sac à dos…

Günther Anders

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