« Tu n’es pas un juge… »

 

Source : La Théologie politique de Paul : Schmitt, Benjamin, Nietzsche et Freud, par Jacob Taubes, éditions du Seuil, collection Traces écrites, relecture en cours.

Hans Blumenberg m’a écrit : « Arrêtez avec cette attitude, comment disait-il déjà ? Une attitude tribunaliste, « tribunalistisch », vous, Kojève et Schmitt. Il s’agit chez vous tous du même problème, alors, à quoi bon votre refus ? »

C’est une lettre d’amitié très rare et très intense de Blumenberg, je veux dire rare pour moi parce que d’autres reçoivent aujourd’hui encore des lettres amicales de sa part. Et là, je me suis dit : « Bon, écoute, Jacob… tu n’es pas un juge, et si tu dois admettre que ce que tu as appris, tu l’as appris grâce à Schmitt. Je sais ce qu’il a fait pendant la période nazie, je sais plus encore, des choses que je ne couvre pas d’un silence de prêtre, afin qu’elles ne soient pas rendues publiques. Donc, tu n’es pas un juge parce qu’en tant que Juif, tu ne pouvais pas être tenté. »

Nous étions bénis des dieux en ce sens que nous ne pouvions pas y participer, non parce que nous ne voulions pas, mais parce qu’on nous a interdit d’y participer. Vous pouvez juger parce que vous avez connu la résistance. Moi, je ne peux pas être sûr de moi-même… que quelqu’un ne débloquera pas pendant un an ou deux, sans scrupules, ni réticences, comme ce fut le cas de Schmitt. J’étais au courant de cela, de presque tout… toutefois, il m’a lui-même montré des documents qui m’ont fait dresser les cheveux sur la tête et qu’il en plus défendus. Je ne parviens pas à suivre des pensées de ce genre.

Le Schmitt que j’ai rencontré était celui d’après Théologie politique II, trente-cinq ans après la Théologie politique I et son attaque de Peterson. Il y avait toujours une distance entre nous, mais j’étais très impressionné de discuter avec un spécialiste de cette envergure et il s’est fait expliquer par moi, de manière spontanée, non-professorale, l’arrière-plan de l’Épitre aux Romains 9.1 et il m’a dit :

« Vous devez raconter ça à quelques personnes avant de mourir. » Aujourd’hui, quand j’y pense, cela me semble une phrase inouïe.

Commentaires