Source : La Théologie politique de Paul : Schmitt, Benjamin, Nietzsche et Freud, par Jacob Taubes, éditions du Seuil, collection Traces écrites, relecture en cours.
Épître aux Romains (11 :11) : « Je
pose encore une question : ceux d’Israël ont-ils trébuché pour vraiment
tomber ? Pas du tout ! Mais leur faute procure aux nations païennes
le salut, pour qu’ils en deviennent jaloux. »
Encore une fois apparaît chez Paul l’expression
« la jalousie d’Israël » qu’il faut exciter. Et si le rejet d’Israël
avait pour conséquence la réconciliation du cosmos, du monde, c’est-à-dire le
fait que les païens soient intégrés dans la basileia tou theou qui
s’appelle Israël, alors que peut signifier d’autre la réintégration d’Israël,
sinon la résurrection des morts ? La résurrection des morts et la
réintégration d’Israël dans la basilieia représentent pour lui une seule
et même chose.
Et verset 25, c’est le « mystère » :
« L’endurcissement d’une partie d’Israël durera jusqu’à ce que soit entré
l’ensemble des païens. Et ainsi [voici maintenant le terme décisif tout Israël]
« pas » Israël sera sauvé, comme il est écrit [chez les
prophètes] : « De Sion viendra le libérateur, il écartera de Jacob
les impiétés et voilà quelle sera mon alliance avec eux quand j’enlèverai leurs
péchés. » C’est ainsi, d’autre part, que s’achève chaque sermon juif
orthodoxe. En entendant cette phrase, on sait à ce moment-là que c’est terminé,
le sermon est fini.
Et maintenant, survient cette phrase inouïe dont j’ai
débattu avec Carl Schmitt qui était presque nonagénaire et qui a discuté à
fond, mot à mot, l’Épître aux Romains 9-11, avec un quinquagénaire, et nous
sommes arrivés à la phrase : « Par rapport à l’Évangile, les voilà
ennemis » Des ennemis de Dieu ! Pas au sens privé. Ennemi c’est hostis
et non pas inimicus. Lorsqu’il est écrit « Aimez vos ennemis »
— je ne suis pas sûr de ce que cela signifie dans le Sermon sur la montagne —,
il n’est pas là question là de querelles privées, mais des ennemis de Dieu au
sens de l’histoire du salut. « Les voilà ennemis, et cela à cause de vous,
mais du point de vue de Dieu, ils sont bien-aimés, à cause de leurs
pères. »
J’ai alors objecté à Carl Schmitt qu’il ne voyait pas
la dialectique qui motivait Paul et que l’Église chrétienne a oublié après
70 ; Schmitt n’a pas repris un texte, mais une tradition, celle de l’antisémitisme
ecclésiastique… Schmitt, le plus important spécialiste du droit public, a reçu
mon objection : « Je l’ignorais. » On peut lire des textes sans
s’apercevoir où se trouve le point décisif et mille cinq cents ans d’histoire
chrétienne parlaient en sa faveur : on ne l’a tout simplement pas ressenti
de cette manière « car les dons et l’appel de Dieu sont
irrévocables. »
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