Pour ma part, je ne lisais
plus tellement et j’écrivais encore moins. En fait, cela faisait des années que
je n’avais pas écrit un livre. Rien n’avait plus d’importance. J’avais
l’impression qu’il n’y avait plus rien à écrire. Si j’abordais une page blanche,
ou y songeais seulement, j’étais désorienté, et mes nerfs se contractaient…
Écrire un livre, disait-il,
est un combat effroyable et éreintant, une sorte de lutte contre un mal qui
vous ronge. Nul ne se lancerait dans pareille entreprise s’il n’y était poussé
par quelque démon auquel il ne peut résister, et qu’il ne peut comprendre. Car
ce démon se confond bien entendu avec l’instinct qui pousse un bébé à brailler
pour attirer l’attention. Peut-être avais-je perdu mon démon. Peut-être
d’autres démons l’avaient-ils vaincu. Et puis, quand Orwell a écrit ces mots,
il n’avait guère plus de quarante ans et il n’a pas atteint sa
quarante-septième année.
Les hommes exceptionnels,
eux, ne considèrent pas leur expérience comme sortant de l’ordinaire, ils ne
croient pas qu’elle présente de l’intérêt pour quiconque. À l’inverse du
tout-venant des ectoplasmes à forme humaine, ils n’ont pas l’ignorance et la
présomption d’être égocentriques à ce point. Ils ne sont personne et ils le
savent. Ils évitent de se faire remarquer. Ils sont excessivement rares.
Nick Tosches : Moi et le Diable
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