Titre : Jean Baudrillard. Texte : Après la tragédie, la farce ou comment l’histoire se répète par par Slavoj Žižek, éditions Flammarion, collection Champs essais.
Avant de nous
laisser aller à déplorer l’effet « aliénant » qui découle du fait que
les « rapports entre les personnes » sont remplacés par les
« rapports entre les choses », nous devons garder à l’esprit l’effet
opposé, libérateur : le déplacement du fétichisme sur les « rapports
entre les choses » dé-fétichise « les rapports entre
personnes », permettant à celles-ci d’acquérir une liberté et une
autonomie « formelles. » Si, dans une économie de marché, je demeure
dépendant de facto, cette dépendance n’en est pas moins
« civilisée », représentée sous la forme d’un
« libre-échange » entre moi et d’autres personnes plutôt que sous la
forme d’une servitude directe ou d’une coercition physique. Il est facile de
tourner Ayn Rand en dérision, mais son fameux « hymne à l’argent »
dans la Révolte d’Atlas recèle un grain de vérité :
« Jusqu’à ce
que et à moins que vous ne découvriez que l’argent est à la racine de tout
bien, vous quêtez votre propre destruction. Quand l’argent cesse d’être le
moyen par lequel les hommes traitent les uns avec les autres, les hommes
deviennent les instruments les uns des autres. Du sang, des fouets, des fusils…
ou des dollars, faites votre choix, il n’en existe pas d’autre »
La formule de Marx, selon laquelle, dans une économie marchande, les « rapports entre personnes prennent l’aspect de rapports entre objets » ne dit-elle pas quelque chose de semblable ? Dans l’économie de marché, les rapports entre les personnes peuvent apparaître comme des rapports de liberté et d’égalité naturellement reconnues : la domination n’est plus directement représentée ou visible en tant que telle. Le hic dans le postulat sous-jacent de Rand c’est que l’unique choix se place entre des rapports directs et indirects de domination et d’exploitation.
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