Source : Hans Holbein, maniérisme, anamorphose, parallaxe, postmodernité par Michel Thévoz, éditions L’Atelier contemporain, collection Studiolo.
Dans Le Livre de peinture, paru en 1604, Carel
Van Mander nous donne un renseignement précieux : « Il est à noter
que, à l’instar du chevalier romain Tupilius, qui était gaucher et peintre, ce
qu’on n’avait jamais vu, Holbein maniait le pinceau de la main gauche, ce qui
de notre temps ne s’est vu que très rarement ou pas du tout. Mais, pour autant,
il n’était point gauche dans la pratique de son art, où il procédait avec
fermeté et en maître accompli. »
On peut vérifier cette particularité par l’orientation
des hachures dans ses gravures et ses desseins. Notons que Léonard de Vinci,
Michel-Ange, et Dürer probablement, étaient également gauchers : ça fait
beaucoup de peintres dans une génération et non des moindres, les plus
subversifs même, ceux qui traitent le Christ par un raccourci, qui dissèquent
les cadavres et qui excellent dans l’inversion des valeurs.
Voilà qui relance le problème de la
« dextérocratie » : la prédominance de la main droite n’a pas
d’explication génétique, c’est une spécificité anthropologique qui ressortirait
plutôt à l’ordre symbolique, c’est-à-dire à des déterminations culturelles qui
se seraient généralisées dès l’origine, les singes supérieurs étant encore
ambidextres.
Érasme lui-même, le meilleur ami de Holbein, si
contestataire fût-il, croit devoir insister : « En posant un plat
comme en versant à boire, ne te sers jamais de la main gauche »
recommande-t-il dans De Civilitate morum puerilium… Dès lors, on peut se
demander si, parmi les gauchers, qu’on dit volontiers contrariés, il n’y en
aurait pas de contrariants, au nombre desquels il faudrait compter notre
peintre ?
Ce que semblerait confirmer la signature épigraphique ironique, si ce n’est insolente, et inversée comme dans un miroir, dans le pilastre gauche d’un projet de vitrail, La Madone à l’enfant : « ZEFSVICUM » (Mucius fec[it]), allusion à Mucius Scaevola, résistant et gaucher s’il en est, pour s’être brûlé héroïquement la main droite.
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