Source : L’Antéchrist à l’âge classique, summulae, exégèse et politique par Jean-Robert Armogathe, éditions Mille et Une Nuits, collection Les Quarante piliers, dirigée par Pierre Legendre, relecture dix ans après, recommandé par Neûre aguèce.
Mahomet passe au premier plan dans les prédictions de
la Sibylle d’Érythrée. Ce Vaticinium a probablement été composé au
douzième siècle, diffusé et peut-être écrit par un officier de la Cour de
Manuel Comnène, Nicolas Doxapatres. Il devient ensuite moine en Sicile, où son
texte fut traduit en latin par l’amiral Eugène, vers la fin du siècle.
Commenté par Joachim de Flore, la prophétie de la
Sybille d’Érythrée circula dans une rédaction latine corrigée et amplifiée par
les cercles franciscains d’inspiration joachimite, vers 1250. Le texte est
lourd d’un symbolisme confus, une confusion aggravée par les interpolations.
Mais on trouve au Livre I une vaste fresque historique, une vie du Christ et la
prédiction d’une horrible bête venant d’Orient, avec sept têtes et 633. Deux
étoiles la combattent, et un lion puissant surgit de l’Occident, l’attaque, la
malmène, sans parvenir à la tuer, car l’horrible créature doit survivre jusqu’à
la venue de l’Abomination. Il semblerait que la bête soit Mahomet, les 633
pattes correspondant aux armées de l’islam, une interprétation du treizième
siècle.
Le lion puissant, qui a cinquante pattes, serait dans
la version initiale le Dernier Empereur, identifié au treizième siècle avec
Charlemagne, et ses 46 années de règne effectif. L’identification de Mahomet
comme Antéchrist est souvent liée désormais au mythe du Dernier Empereur.
Pourtant, le Moyen Âge n’a pas accordé une attention
particulière au rapprochement entre Mahomet et l’Antéchrist : les
interprètes ont surtout manifesté une grande prudence en la matière ce qui rend
encore plus surprenante l’identification dans une lettre du pape Innocent III
du Prophète avec la Bête « dont le nombre est 666 : puisque six cents
ans sont déjà écoulé depuis l’hégire (622) ou la mort du Prophète (632), la fin
de l’islam est bien prochaine »
Cette interprétation retrouve une vigueur première au
dix-septième siècle pour d’évidentes raisons chronologiques : on atteint
le millénaire du calendrier musulman et l’empire turc constitue une menace
puissance pour l’Occident chrétien. L’idée réapparaît autour du bassin
méditerranéen. Après l’érudit provençal Péreire (1535-1610), le cardinal
Bellarmin repousse encore l’idée d’un Mahomet antéchrist, refus que Luther
partage. Le réformateur saxon a traduit en allemand la Confutatio Alchoran
de Ricoldo de Montecroce : Mahomet appartient bien à la cohorte des faux
prophètes et des précurseurs de l’Antéchrist, qui reste bien, pour le vieux
Luther, le pape.
Un dossier inédit des Archives du Saint-Office montre
bien cette opposition officielle à l’identification de Mahomet avec
l’Antéchrist : plusieurs documents retrouvés retracent les démêlés d’un
capucin, Hippolyte de Brescia qui appartenait à l’importante famille des
Averoldi et qui assurait en 1601 que l’Antéchrist était déjà venu en la
personne du fondateur de l’islam. Il concluait qu’il n’y avait plus lieu de
l’attendre : les deux témoins Énoch et Élie, étaient venus en la personne
des saints fondateurs, Dominique et François, le pape et les cardinaux avaient
tort de ne pas le reconnaître, etc.
Les théologiens appelés pour porter censure de
l’ouvrage, ceux qu’on appelle les consulteurs, écrivent que
« l’identification de Mahomet avec l’Antéchrist est erronée, téméraire,
sentant l’hérésie et contraire à l’enseignement des Pères. » Il disait
qu’il n’y avait plus lieu d’attendre l’Antéchrist, qu’Énoch et Élie étaient
Dominique et François, que le pape et les cardinaux ont tort, etc. Notre
capucin est condamné à la prison en 1613 et encore, semble-t-il, en 1623. Il a
persévéré dans ses recherches et publie en 1838, à Bescia, un recueil d’images
commentées sur l’Apocalypse.
Cependant, l’opposition à l’identification faiblit après 1620 : Mahomet-Antéchrist est un moyen supplémentaire de contrer le point de vue protestant. Cornelius à Lapide trouve l’idée particulièrement intéressante et écrit le premier développement. Certains soutiennent, dit-il, que le millenium commença en 630 : Cornélius est particulièrement curieux des événements du septième siècle, qui lui permet de faire courir le millenium jusqu’à son époque. En 1621, la victoire de Sigismond sur les Turcs met un terme aux mille ans de l’islam. Le millénium est alors celui de l’hégire.
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