Sept têtes du dragon vert

 

Source : L’Antéchrist à l’âge classique, summulae, exégèse et politique par Jean-Robert Armogathe, éditions Mille et Une Nuits, collection Les Quarante piliers, dirigée par Pierre Legendre, relecture dix ans après.

L’identification de Mahomet comme Antéchrist est curieusement tardive : nous avons vu plus haut que Betaus de Liébana, qui commente l’Apocalypse dans la seconde moitié du huitième siècle, ne fait aucune allusion à la domination des musulmans, qui occupaient encore une bonne partie de la péninsule ibérique. Son commentaire reste de nature morale et symbolique, évitant les applications historiques.

Les mille ans sont pour lui la période entre les deux venues du Christ, avant une brève domination de l’Antéchrist. Ce commentaire, qui contient plusieurs traits communs du portrait de l’Antéchrist, sera largement diffusé. Moins connues, les lectures de Saint Euloge et de Paul Alvarus de Cordoue, au neuvième siècle, font place à Mahomet, mais seulement comme précurseur de l’Antéchrist ; selon les calculs d’Alvarus, la ruine de l’islam est proche car son règne était prévu pour 245 ans, selon la périodisation du Livre de Daniel : « trois temps et demi », interprétée pour des périodes de 70 ans. Écrivant en 854, fixant vers 618 le commencement de l’ère musulmane, il pouvait penser que la fin du monde était proche. Par une curieuse coïncidence, l’émir de Cordoue, Abd er-Rahman III mourut en 852 ; Mahomet I lui succéda et le nom du nouvel émir fut aussitôt interprété comme un signe eschatologique.

Alvarus note enfin que M.ahom.et serait mort en 666, le chiffre de la Bête. Ce comput repose sur l’ère d’Espagne, qui avait 38 ans d’avance sur l’ère romaine, et Alvarus le trouvait dans une Vie de Mahomet écrite en Espagne, et qui a circulé sous des formes différentes : Euloge dit qu’il l’avait trouvée au monastère de Leyra en Navarre, près de Pampelune.

Le Livre des Figures, une compilation de dessins symboliques de Joachim de Flore, avec des textes qui semblent avoir été réunis par ses disciples après sa mort, identifie les sept têtes du Dragon (Apocalypse 12) avec sept « mauvais gouvernants » : Hérode, Néron, Constantin l’Arien, Mahomet, Messemoth (probablement un roi d’Afrique du Nord), Saladin et « le septième roi qui est proprement appelé l’Antéchrist, bien qu’il y en aura un autre comme lui, tout aussi mauvais, symbolisé par la queue. »

La description de Joachim de Flore s’accordait avec sa vision de l’Histoire : une venue prochaine de l’Antéchrist, suivant de près les persécutions des chrétiens par son contemporain Saladin, puis sa défaite et le triomphe de l’Esprit, le troisième âge du monde. Cette dernière période de l’humanité viendrait à terme sous la persécution de Gog, prophétisée par la queue du Dragon au sept têtes.

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