Secte de l'Est

 

Source : Le Livres des êtres imaginaires par Jorge Luis Borges, éditions Gallimard, collection L’Imaginaire

Au dix-septième siècle, le capitaine portugais Luis da Silveria parle, bien qu’obliquement, dans son De Gentibus et Moribus Asiae (Lisbonne 1669) d’une secte de l’Est, indienne ou chinoise, il ne le dit pas, qu’il appelle en employant une formule latine : Laudatores Temporis Acti.

Ce brave capitaine n’est ni un métaphysicien ni un théologien mais néanmoins il nous explique clairement la notion du temps passé telle que la conçoivent les membres de cette secte. Pour nous le passé n’est qu’une fraction du temps ou qu’une série de fractions qui un jour furent le présent et que la mémoire et l’histoire peuvent nous restituer plus ou moins fidèlement.

Grâce à la mémoire et à l’histoire, ces fractions du temps font évidemment partie du présent. Pour les membres de la Secte le passé est absolu ; il n’y a jamais eu de présent, on ne peut ni s’en souvenir, ni même l’imaginer. On ne peut lui assigner ni unité ni pluralité, car ce sont là des attributs du présent. On peut dire la même chose des membres de la Secte, si on peut se permettre le pluriel, à propos de leur couleur, de leur taille, de leur poids, leur forme…

Il est impossible d’affirmer ou de nier quoi que ce soit au sujet des êtres de ce « Il était une fois » qui n’a jamais été. Silveira note le manque total d’espoir de cette secte ; un tel Passé ne peut prétendre être adoré et ne peut offrir ni aide ni réconfort à ses adeptes. Si le capitaine nous avait donné le nom en langue vulgaire de cette curieuse communauté ou quelqu’autre indication la concernant, nous avancerions plus facilement dans notre recherche.

Nous savons qu’ils n’avaient ni temples, ni livres sacrés. Y a-t-il encore des membres de cette secte ou bien, avec leurs croyances obscures, appartiennent-ils au passé ?

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