Source : En 25 ans, deux fois plus de livres publiés mais de moins en moins lus par Jamal Henni, tous droits réservés à BFMTV.
En 25 ans, le marché du livre s'est atomisé : deux fois
plus de titres sont publiés, mais avec des tirages deux fois moins élevés. Que
tout un chacun puisse publier son livre est-il le stade ultime de la
civilisation? Telle est la question posée par l'explosion de la production
éditoriale en France. Depuis 25 ans, le nombre de nouveaux titres a été
multiplié par deux, selon les chiffres du Syndicat national de l'édition.
Et encore, cette profusion éditoriale n'est que la
partie émergée de l'iceberg. Car ne sont publiés qu'une infime fraction des
manuscrits reçus par les maisons d'édition: moins de 1%, selon une étude de François Moreau et Stéphanie Peltier pour le
SNE. « La conséquence est une difficulté grandissante à faire
connaître au public toutes ces nouveautés, et à leur assurer une visibilité
dans les circuits de vente physique ou numérique", ajoute l'étude, qui
note:
« Le livre s'inscrit parfaitement dans l'économie
de l'attention décrite par le prix Nobel d'économie Herbert Simon. La rareté ne
caractérise plus la production des biens, mais l'attention des
consommateurs. »
En effet, la grande majorité de ces livres sortent dans
une indifférence totale. Les médias ont parlé de seulement 15.315 ouvrages
différents en 2014, selon la base de données Electre. Récemment, un auteur
sélectionné pour le prix Renaudot mais dont aucun média n'avait parlé, a même
dû publier une petite annonce dans Libération pour enfin "rencontrer un journaliste
curieux"...
Surtout, « pour être vendu, un livre doit être
disponible. Or la table des libraires n'est pas d'une longueur infinie. Le
nombre moyen de titres disponibles dans les plus grandes librairies n'est que
de 50.000. Pour une librairie de taille raisonnable consacrant 100 mètres
carrés aux livres, le stock tombe à moins de 15.000, ajoute l'étude du SNE.
Résultat: « Toute nouveauté qui ne rencontre pas immédiatement son public
se verra vite chassée des rayons, remplacée par les nouvelles nouveautés de la
semaine. »
Hélas, le public est bien loin de pouvoir absorber
cette profusion. « Cette offre souvent qualifiée de pléthorique peine de
plus en plus à trouver son public », déplore l'étude.
Car les Français lisent globalement de moins en moins.
En 2008, 70% des Français déclaraient avoir lu au moins un livre dans l'année,
contre 79% en 2005. En pratique, cela reste un loisir pour les plus aisés : « Les
cadres supérieurs comptent trois fois plus de forts lecteurs que les ouvriers »,
indique une étude du ministère de la Culture. Mais les lecteurs
sont de plus en plus vieux. « Depuis 1973, la lecture de livres a connu un
profond changement: elle s'est progressivement féminisée, tout en perdant le
lien privilégié qu'elle entretenait avec la jeunesse. »
Les auteurs refusent de croire les chiffres !
Bref, ce n'est donc pas parce qu'on publie deux fois plus de livres qu'on lit
deux fois plus. Le doublement des titres sur les 25 dernières années a été
compensé par une division par deux des tirages et des ventes, aujourd'hui
tombés à des niveaux très faibles. Ainsi, un livre est édité désormais à moins
de 6.000 exemplaires en moyenne, et se vend à 4.000 exemplaires à peine, selon
le SNE.
« Il y a énormément de livres qui se vendent à
moins de 500 exemplaires, tous éditeurs confondus, de Gallimard à Grasset en
passant par P.O.L. Et dans ces livres-là, beaucoup ne dépassent pas les 250
exemplaires vendus. En fait, ce n'est pas rare qu'un livre se vende à moins de
100 exemplaires » expliquaient récemment Jean-Hubert Gailliot et
Sylvie Martigny, à la tête de la petite maison d'édition Tristram. »
Des chiffres si faibles que les écrivains pensent
qu'ils sont faux : « Certains jeunes auteurs ne croient pas les résultats
des ventes, pensant que l'éditeur truque les chiffres pour ne pas payer les
droits. »
Des auteurs plus nombreux mais plus pauvres. Et ce
n'est pas non plus parce que l'offre est deux fois plus importante que les gens
lisent des livres de plus en plus divers. « En littérature, les ventes
tendent à se focaliser sur un nombre d'auteurs de plus en plus restreint »,
pointe une autre étude du ministère de la Culture.
Mais tout cela ne décourage pas les vocations : « Il
y a de plus en plus de gens qui écrivent, qui se projettent dans le fait d'être
publiés. C'est devenu une annexe du développement personnel, tous milieux
socioculturels confondus », selon Jean-Hubert Gailliot et Sylvie Martigny. »
Dominique Gaultier, gérant des éditions du Dilettante :
« Il ne faut pas raisonner titre par titre. Pendant 15 ans, je n'ai pas
gagné d'argent, puis j'ai eu la chance de découvrir Anna Gavalda. On ne peut
jamais prévoir ce qui marchera. Mais miser sur un grand nombre de livres permet
d'augmenter les chances d'avoir un succès. D'autant que le coût de publication
d'un titre a baissé grâce à la technologie, et n'est aujourd'hui plus que de
quelques dizaines de milliers d'euros.
« Mais il ne faut pas avoir un raisonnement purement économique titre par titre, sinon on ne publierait par exemple pas de recueil de nouvelles, car cela se vend peu. Au final, les livres qui marchent financent les autres, et cette péréquation permet d'être globalement rentable. Typiquement, un premier roman se tire à 3.000 exemplaires, puis peut se vendre à 500 comme à 300.000 exemplaires. »
Commentaires
Enregistrer un commentaire