Source : Hans Holbein, maniérisme, anamorphose, parallaxe, postmodernité par Michel Thévoz, éditions L’Atelier contemporain, collection Studiolo.
Au fur et à mesure que le spectateur se déplace pour se
mettre face au tableau, le rapport s’inverse et c’est la scène générale des
ambassadeurs qui devient évidente et le crâne qui se déforme progressivement, à
l’instar d’une ombre qui s’allonge sur une porte qui s’ouvre.
Voilà qui change tout ! En variant l’angle de vue,
en passant de la représentation illusionniste du crâne à son stratagème, le
peintre initie le spectateur aux lois de la projection perspectiviste :
voici venir la société du spectacle. Si vanitas il y a, c’est celle de
l’image peinte, c’est elle le trompe-l’œil qui révèle dès lors « le secret
de sa production. » Ce crâne qui aura terrorisé les croyants pendant des
siècles n’était donc qu’un leurre figuratif, un panneau de bois peint.
Le crâne d’Holbein compromet le monde surnaturel
historié sur les murs des cathédrales. Déjouée l’imposture bigote, Holbein
célèbre une messe pour le temps présent et pour toutes les avancées
philosophiques, scientifiques, artistiques de la Renaissance, une messe athée,
anti-transcendante, qui tourne en dérision le symbole punitif de la foi
médiévale.
Au demeurant, le peintre se fait un malin plaisir de se concentrer sur le crâne en tant qu’objet matériel, sur le traitement volumétrique et sur les effets de la projection latérale, ce qui revient à désamorcer le symbole biblique et à l’envisager en nature morte, dans l’acceptation vraiment picturale du terme, celle de la précession des valeurs plastiques sur les valeurs symboliques.
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