Source : Histoire du miroir par Sabine Melchior-Bonnet, préface de Jean Delumeau, éditions Imago, relecture douze ans après.
Les progrès techniques, qui permettent de passer du
miroir convexe au miroir plan, reflètent le nouveau rapport des humanistes à la
connaissance. Visible et invisible ne sont plus régis par les mêmes lois.
Le miroir convexe concentrait l’espace et il offrait
une vision du monde globale et sphérique, embrassant plusieurs perspectives,
mais sa courbure déformait l’espace et il offrait une vision du monde globale
et sphérique, embrassant plusieurs perspectives, mais sa courbure déformait
l’image. Au contraire, le miroir plan propose une image exacte, mais partielle,
et il cadre la vision à partir d’un seul point de vue, en opérant comme un
metteur en scène. Modèle d’une connaissance qui n’est plus seulement symbolique
et analogique mais critique et discursive, il trouve sa place dans une nouvelle
philosophie de la représentation, obéissant à ses règles propres et destinée à
ajouter à son rôle d’ordonnancement le plaisir d’un spectacle.
L’artiste substitue alors à un agrégat de
correspondances à un espace purement mental, homogène et soumis à des lois
mathématiques. E. Cassierer et E. Panofsky ont souligné la grande évolution
qu’implique la conquête de la perspective artificielle, fenêtre ouverte par le
peintre délimitant un angle de vue, par lequel s’affirme le sujet, et visant un
point de fuite qui débouche sur un horizon infini. C’est cette perspective que
Bruneschelli a mise en scène avec une boîte dotée d’un miroir, d’un panneau
peintre à l’envers et d’un trou à partir de laquelle il voit réduit le baptistère
de Florence, et que César Ripa personnifiera cent ans plus tard avec un miroir.
Outil d’une connaissance réfléchie et instrument d’un
spectacle, le miroir permet de nouveaux jeux d’optiques qui séparent
définitivement les choses de l’image. Si Alberti et Léonard de Vinci voient en
lui leur maître, le vérificateur des ressemblances et l’éducateur de l’œil, ils
le reconnaissent aussi pour un maître de l’illusion, l’illusion n’étant qu’une
manipulation de la ressemblance. Ce thème monte crescendo dans la seconde
moitié du seizième siècle. J. Besson, qui écrit en 1567 son Cosmolabe ou
Instrument universel, étudiant « les sciences de la veue »,
démontre, à la suite de nombreux traités d’optique publiés au cours du seizième
siècle, combien sont trompeur les rapports des objets les uns aux autres en
fonction de la diversité des points de vue et des positions de plusieurs
miroir : faute d’un référent fixe, unique et objectif, qui embrasserait la
totalité des perspectives, le spectateur ne peut jamais vérifier la justesse de
son point de vue.
En organisant et en fractionnant l’espace selon un
cadrage arbitraire, le miroir découvre la relativité des perspectives, le
spectateur ne peut jamais vérifier la justesse de son point de vue. En
organisant et en fractionnant l’espace selon un cadrage arbitraire, le miroir
découvre la relativité des perspectives et il restitue par la complexité et la
mobilité des jeux de l’esprit, miroir-prisme où s’emboîtent plans et images, et
qui greffe des significations les unes sur les autres, en un réseau de
métaphores et de renvois.
Le Jésuite Tesauro, au dix-huitième siècle, assimile,
au début du Cannochiale aristotelica, l’intellect humain au plus pur des
miroirs et il remarque que la métaphore produit du plaisir parce que « c’est
une chose plus curieuse et plus agréable que de regarder plusieurs objets en
perspective que de voir les originaux passer devant l’œil. »
L’illusion produite séduit plus que l’original et la variété, plus que l’unité. La référence à l’unique source de toute ressemblance se perd dans la variété et la mutation inépuisable des reflets qui excitent l’esprit.
Commentaires
Enregistrer un commentaire