Source : Hans Holbein, maniérisme, anamorphose, parallaxe, postmodernité par Michel Thévoz, éditions L’Atelier contemporain, collection Studiolo.
La perspective linéaire dans tous ses états : il n’est pas de meilleure illustration de la notion de parallaxe, que Slavoj Žižek, dans l’ouvrage éponyme, a érigée en concept philosophique.
Au sens premier,
c’est-à-dire en géométrie ou en optique, il s’agit d’un axe qui ne concorde pas
avec l’axe principal, ou qui lui dispute la prépondérance, générateur par
conséquent d’une asymétrie qui ne peut se résoudre qu’à un niveau supérieur de
complexité. Ainsi en va-t-il de la vision binoculaire frontale, dont nous
partageons le privilège avec les singes, les loups ou les aigles : les
deux yeux enregistrent le même spectacle, mais sous un angle légèrement
différent.
C’est ce désaxement qui soulève un relief dans la platitude des apparences. Des deux angles de vue, lequel est le « juste » ? Ni l’un ni l’autre, bien sûr, c’est leur désajustement qui opère, en phase avec la nature purement antagonique de la réalité, ce qui conduit Slavoj Žižek à ériger la parallaxe en concept philosophique ou en paradigme ontologique.
Le réel lui-même a un statut de
parallaxe, il n’a aucune passivité substantielle, ni aucune légitimation dans
l’ordre de la connaissance, il n’est imputable ni à un point d’observation ni à
un autre, ni à un observateur ni à un autre, il se dérobe à toutes les visées,
il est cette dérobade même, il est l’écart irréductible entre différents points
de vue auxquels il s’offre, il « est », verbe qu’il faut décidément
mettre entre guillemets, non-coïncidence avec lui-même, il est constitutivement
disloqué.
Ni le soleil ni la mort ne peuvent se regarder fixement, mais il n’y a pas que le soleil et la mort : rien ne peut se regarder fixement, nous serions vite aveuglés par le réel qui, dans son intensité, nous brûlerait les yeux. Le réel ne peut se produire que dilatoirement, en se dérobant derrière une apparence toujours évasive, derrière une multiplicité de profils qui se renvoient l’un à l’autre indéfiniment.
Tel est le stratagème des maîtres de la perspective.
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