De nombreux contemporains de Gogol se souviennent qu’il
ressemblait parfois à un oiseau : cette apparence était l’œuvre du plus
constant d’entre ses rêves, le rêve qu’il vole, pénétrant sans encombre dans
l’empire de l’inconsistance et de la liberté, où la gravitation n’a pas cours,
où le poids n’existe pas. Le motif de l’inconsistance acquiert ainsi les
accents les plus différents dans l’œuvre de Gogol. Le motif de l’inconsistance
a la valeur d’une aspiration : dans Le Manteau, parce qu’il n’a
aucune pesanteur dans sa nouvelle pelisse, Akaki Akakievitch est emmené comme
de force à la soirée du sous-chef de bureau, bien qu’il voulût d’abord refuser…
Il existe chez Gogol une véritable obsession de la désagrégation et de
l’apesanteur, du « détachement. » Gogol a le sentiment douloureux de
n’avoir aucun centre ; il se sent trop léger, comme les êtres qui peuplent
son œuvre ; aucun centre de cohésion ne le retient. De là, dans sa
représentation des hommes, la tendance des organes à se détacher du tout dont
ils font partie, pour gagner une vie autonome.
Lucian Raïcu : Avec Gogol, essai sur l’inconsistance
Commentaires
Enregistrer un commentaire