Texte : Avec Gogol, essai sur l’inconsistance, par Lucian Raïcu, éditions de L’Âge d’Homme, collection Slavica, traduit du roumain par Odile Serre.
Il existe une particularité de la « cellule »
gogolienne qui éclaire une particularité constitutive du nombre de ses
personnages et que nous retrouvons au niveau stylistique : une angoisse du
changement, une incapacité à rester longtemps quelque part, une impulsion de
départ, une attirance mystérieuse pour l’espace rapidement parcouru, comme en
volant, pour les « lointains. »
Tchitchikov sillonne d’immenses espaces, Khletsakov
« se met en route » pour on ne sait où. Tarass Boulba est un nomade
typique. Enfin, la plume de Gogol court sur le papier, ignorant toujours où
elle va, mais avec un élan initial extraordinaire. Ce mouvement est ancré ans
la structure gogolienne et nous le retrouvons dans une de ses formes les plus
visibles, dans la biographie agitée d’incessants départs et retours de
l’écrivain.
Gogol lycée attend Pétersbourg à grand-peine mais s’y
ennuie une fois arrivé, aspire à autre chose, part pour un premier voyage
inexplicable en mer Baltique, vers les villes allemandes, puis revient, part de
nouveau, enfin est agité sans cesse par une « Wanderlust. »
Dans sa confession, lorsqu’il cherche à s’en expliquer, il accentue le mystère
qui entoure cette angoisse de l’espace, de la vitesse, des départs fréquents.
« Je n’ai jamais non plus ressenti la curiosité
inconsciente dont est dévoré le jeune homme, avide d’impressions. Mais, chose
étrange, même pendant mon enfance, même sur les bancs de l’école, même à une
époque où je ne rêvais que d’entrer au service de l’État, et non de faire
carrière dans les lettres, il m’a toujours semblé que m’attendait je ne sais
quel grand sacrifice de ma personne et que j’aurais précisément, pour me mettre
au service de ma patrie, à parfaire mon éducation quelque part loin d’elle.
J’ignorais comment cela se produirait et pourquoi il le
faudrait ; je n’y réfléchissais même pas, mais je me représentais si
vivement moi-même dans quelque terre étrangère, languissant après ma patrie, et
ce tableau me poursuivait. Si forte en moi était cette attirance involontaire
qu’il ne s’était pas écoulé cinq mois depuis mon arrivé à Saint-Pétersbourg que
je m’étais déjà embarqué, incapable de résister à un sentiment que je
n’arrivais pas moi-même à comprendre. »
La couleur gogolienne dominante est le gris ; mais
un gris qui s’anime à l’improviste, en découvrant des dizaines de facettes sans
cesse en fantastique ébullition. Quelle vie ont ces paysages morts dans l’œuvre
de Gogol ! Le Nord grisâtre retrouve l’effervescence d’un Sud ardent.
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