« Le pouvoir est simplement stupide, froid et mesquin »

 

Source : Avec Gogol, essai sur l’inconsistance, par Lucian Raïcu, éditions de L’Âge d’Homme, collection Slavica, traduit du roumain par Odile Serre.

Le pouvoir, l’autorité discrétionnaire a chez Gogol, malgré son caractère très réel, quelque chose de mystérieux ; on ne sait pas exactement de qui il émane et comment il s’exerce. Le fantastique pénètre aussi dans la sphère des rapports immédiatement saisissables, d’une contraignante matérialité. Le pouvoir paraît être associé à des hommes à propos desquels on chuchote « quelque chose » qui n’est jamais clair ni tout à fait intelligible.

De là, le thème éminemment gogolien, éminemment secret, du personnage important. « Mieux valait s’adresser à un certain personnage considérable lequel, après s’être mis par voie écrite et orale en rapport avec qui de droit, donnerait sans doute à l’affaire une tournure plus favorable. En désespoir de cause, Akaki Akakievitch résolut d’aller trouver ce personnage dont, à parler franc, nul ne savait en quoi consistaient les fonctions. » Hélas, le secret gogolien présente souvent une particularité encore plus gogolienne : c’est un secret dérisoire. Il s’abîme dans la banalité la plus mesquine : le pouvoir. Dans ce cas, et en général, étant dépourvu de grandeur, le pouvoir épouvante : il est simplement stupide, froid et mesquin.

Ce pouvoir-là n’est pas une vraie autorité, et si elle a quelque chose de fascinant, ce n’est pas une effrayante grandeur, mais une espèce de platitude imbécile qui n’inspire pas la terreur, mais un sentiment de malaise. « Ah ça, monsieur, s’exclama-t-il de son ton le plus cassant. Qui donc croyez-vous être ? Ignorez-vous les usages ? Qu’osez-vous insinuer par là ? D’où viennent ces idées subversives ? Où donc les jeunes gens d’aujourd’hui prennent-ils cet esprit d’insubordination, ce manque de respect avec leurs chefs et les autorités établies ? »

Gogol est un écrivain subversif, « indigné » par l’autorité arbitraire ? Pas plus que l’humble Akaki Akakievitch… mais l’ennui devant l’absence de mystère du pouvoir signifie beaucoup plus que de la subversion. 

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