Source : Leçons sur la Phénoménologie de l’esprit de Hegel par Jean-François Marquet, éditions Ellipses, collection L’Université philosophique, les cours de philosophie, dirigée par Jean-Pierre Zarrader.
Hegel veut dire qu’à côté des propositions communes où
moi, sujet s, j’énonce un prédicat P d’un sujet S, qui est la base tout
simplement passive de mon discours, il existe des propositions spéculatives où
le sujet S de lui-même passe dans le prédicat, sans que j’aie, à proprement
parler, à intervenir. L’exemple de Hegel, qui n’est pas très bien choisi, mais
qui permet de comprendre ce qu’il veut dire, est le suivant
Si je dis : « Dieu est un », c’est une
proposition prédicative, il y a là un sujet S, Dieu, qui est beaucoup de choses
(éternel, tout-puissant, bon, etc.) parmi lesquelles je retiens un seul
prédicat — un — et, ce faisant, je parle en maître, je décide de l’attribution
d’un tel prédicat au Sujet Dieu.
Si je dis : « Dieu est l’Un »,
apparemment, il n’y a rien de changé ; mais le sens est tout à fait
différent : je n’attribue pas un prédicat au Sujet, mais, dans le deuxième
terme — l’Un — je retrouve le Sujet ; c’est le Sujet lui-même qui se pose
comme l’Un, si bien que c’est à lui que j’ai affaire à nouveau dans le deuxième
terme de l’énoncé. Je n’ai plus rien à dire moi-même, je n’ai pas à choisir, je
me retrouve mis hors circuit.
Encore une fois, l’exemple n’est pas très heureux parce
que Dieu est un nom, disons, un peu lourd, c’est un nom propre ; cela
désigne quelque chose, en principe, à identité fixe et immobile. Il vaut donc
mieux prendre des exemples où ce sont de purs concepts qui occupent les
différentes places de l’énoncé.
Si je dis, comme Hegel le dit au début de la Logique :
« L’être est le néant », il est bien évident que cette proposition
est de type spéculatif et non pas de type commun.
Elle n’attribue pas le néant à l’être comme un prédicat
à un sujet, mais c’est l’être lui-même qui, si on le regarde bien, se pose, se
présente à nous comme le néant : en effet, qu’est-ce que l’être ?
C’est ce qui n’est aucun étant, ce qui est, comme dira Heidegger, « tout
autre que l’étant », donc c’est ce qui ne se laisse pas réduire à aucun
étant, c’est donc le néant au sens propre du terme, le non-sens. C’est donc
l’être lui-même qui se pose comme le néant sans que ma réflexion ou, comme dit
Hegel, ma ratiocination, ait à y intervenir d’une manière quelconque.
Par conséquent, alors que je suis habitué, lorsque je
parle, à attribuer tel prédicat à tel sujet, dans la proposition spéculative,
c’est le Sujet dont je parle qui se pose de lui-même comme prédicat ; si
bien qu’on ne peut même pas dire que c’est le Sujet dont je parle, c’est
lui-même qui se parle en quelque sorte.
C’est le Sujet qui parle et me met, moi, entre parenthèses. Je n’ai rien à dire, c’est la parole qui parle toute seule ; je n’ai pas à intervenir de façon active ; je ne me place plus au-dessus de ce dont je parle ; je subis au contraire le poids d’un contenu dont je ne peux me délester et que je dois laisser parler moi-même.
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