On peut supposer qu’il a eu la révélation d’une
« inconsistance » fondamentale : cette obsession domine son
œuvre. Comment l’homme peut-il être « n’importe quoi » ou
« n’importe qui » avec autant d’aisance, autant de crédibilité et
sans jamais se trahir vraiment ? Seul un funeste événement empêche
Khletsakov d’être vraiment ce qu’il veut être, ce qu’il paraît être ; nous
imaginons seulement, quant à nous, qu’il existe une contradiction entre la
réalité et son apparence, mais il n’existe aucune contradiction, car la réalité
« cachée » du personnage est une pure inexistence : elle consent
tout.
Selon nous, la grande problématique dostoïevskienne de
la liberté humaine, basée sur l’idée que si Dieu n’existe pas, tout est permis,
a chez Gogol, surtout dans le Révizor et dans les Âmes mortes, un
paradoxal point de départ. Si Dieu n’existe pas, pourquoi ne pas imaginer que
ces personnages sans essence, sans réalité, en vertu de cette absence même,
soient ce qu’ils paraissent, ce qu’ont décidé exactement d’être dans un moment
de rêverie, d’invention absurde de leur propre « masque » ?
Soudain, évidemment, ils sont « démasqués »
et quelqu’un vient dire que Tchitchikov est en fait… et que Khletsakov en fait
n’est pas… Mais cette démystification est-elle dictée par une raison
absolue ? Ne peut-on pas imaginer, sans effort aucun, qu’elle pourrait
être retardée à l’infini ?
Lucian Raïcu : Avec Gogol
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