American Tale

 

Rome n’est pas à proprement parler un monde, un « cosmos », au sens que les Grecs donnaient à ce terme, c’est-à-dire un ordre dans lequel on se sent chez soi, à sa place. Rome apparaît au contraire comme un champ clos, où des « moi » purement formels, c’est-à-dire réduits à la pure et nue certitude d’eux-mêmes, font valoir l’égalité de leur droit et n’hésitent pas à entrer en lutte pour obtenir la reconnaissance de ce droit. C’est ce que dira plus tard Spengler, dans Le Déclin de l’Occident, lorsqu’il affirmera que les Romains sont en quelque sorte les Américains de l’Antiquité, dans la mesure où on peut définir les Américains, comme le fera Tocqueville, par l’individualisme intégral, c’est-à-dire par la rupture de la chaîne qui unit au passé, et, tout aussi bien, de la chaîne qui unit à la Cité. Les Romains, comme les Américains de Tocqueville, sont donc caractérisés par « le renfermement de l’homme tout entier dans la solitude de son propre cœur », encore que « cœur » n’ait ici aucune résonance sentimentale puisque ce sur quoi se referme le Romain, c’est avant tout sur l’affirmation de son « droit » et ce va être sur cette affirmation du moi, sur cette affirmation de son droit. Et ce va être sur cette affirmation du droit qui est le mien, que va se situer la nouveauté radicale et peut-être catastrophique, de la romanité.

Jean-François Marquet

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