Sobornost

 

Source : Mythe aryen et rêve impérial dans la Russie du dix-neuvième siècle par Marlène Laruelle, préface de Pierre-André Taguieff, CNRS éditions, collection États, sociétés, nation, mondes russes.

Khomiakov reste proche du classicisme des premiers romantiques comme Herder : sa terminologie est biblique ; il parle plus de Japhétides que d’Aryens et dans son livre l’histoire de l’humanité commence par celle d’Israël, toute primauté absolue à l’Inde étant exclue. « Les monuments hébreux dépassent ou tout au moins égalisent en antiquité ceux de l’Hindoustan. » Les Juifs restent donc partie intégrante du monde européen et ne sont aucunement détrônés par les Indiens. Le moteur de l’Histoire est de toute façon pour lui une opposition plus religieuse que raciale, puisque les slaves catholiques sont perçus comme couchites et non plus comme iraniens.

La préférence asiatique est également accordée à la Perse et non à l’Inde : « Les racines de la culture sanskrite ne sont pas en Inde mais dans le berceau iranien. » Ce dernier permet en effet de relier plus facilement, tant culturellement que géographiquement aryanité et christianisme et n’invite pas, comme l’indomanie germanique, à l’exclusion de l’élément juif ou au polythéisme puisque le fondement monothéiste du zoroastrisme perturbe moins la pensée foncièrement chrétienne du slavophilisme.

L’autochtonisme prôné par Khomianov est complexe. Il ne se situe pas sur le plan religieux puisque le principe iranien passe par Israël, Rome puis Byzance et à aucun moment, Khomianov ne cherche à dessiner un « christianisme slave » bénéficiant d’une lignée spécifique comme certains Allemands ont tenté de présenter un Christ germanique. Il ne se bat même pas pour intégrer pleinement le christianisme dans le discours aryaniste : qu’importe si l’on ne peut pas réellement expliquer le passage du principe iranien d’Iran central au monothéisme judaïque.

Ce dernier conserve sa ligne historique traditionnelle, biblique, et l’Ancien Testament n’a pas de « compte à rendre » aux idées religieuses venues d’Iran ou d’Inde. Si une filiation ethno linguistique existe bien des Iraniens aux Slaves, le christianisme garde sa filiation classique, exogène, via la Judée, Rome et Constantinople.

Ainsi, à la différence du mythe aryen occidental, le parallèle entre castes indiennes et féodalité européenne est refusé au nom du principe de fraternité et d’égalité du christianisme : le phénomène des castes ne peut naturellement qu’être, pour Khomiakov, d’origine couchite. L’aryanité doit en effet rester compatible avec l’enseignement biblique et la fraternité de l’iranisme n’est que la préfiguration de la conciliarité [Sobornost] orhodoxe.

Le mythe aryen russe reste donc entièrement pris dans une pensée chrétienne du monde et n’ouvre en aucun cas sur un néo-paganisme ou sur une remise en question de l’héritage juif du christianisme. Si les intellectuels russes ne cesseront d’affirmer une pureté aryenne due à leur filiation scythe, ils n’appelleront jamais à une division en races ou en peuples supérieurs ou inférieurs au sein de l’Europe. Malgré leur « couchitisme », les Romano-germaniques restent membres à part entière de la grande famille japhétique et européenne. 

L’autochtonisme russe ne conduira donc pas aux excès intellectuels des savants allemands, probablement par sa non-existence sur le plan religieux, et restera toujours contrebalancé par son ancrage classique dans le christianisme.

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