Source : Baruch de Spinoza, quatre conférences, par Ernst Bloch, traduit de l’allemand, annoté et préfacé par Arno Münster, éditions Delga.
La pensée qu’une
chose puisse obéir à des buts, pour Spinoza, est une idée adéquate, une
illusion subjective. Mais la pensée du Bien et du Mal est également une idée
inadéquate qui sera et devra être dissoute. On ne doit pas acclamer ou plaindre
une chose, ni se moquer d’une chose, ni en pleurer, mais on doit comprendre une
chose. Tant que je me trouve dans l’autre état, j’ai en même temps des affects
inadéquats et des idées inadéquates. C’est de nouveau la preuve d’un
rationalisme extrême. Afin de chasser les idées inadéquates, Spinoza fait appel
aux affects. Il fait combattre des affects par des affects. Dans le domaine de
la politique, des affects inadéquats doivent combattre d’autres affects
inadéquats, on doit jouer une de nos bêtes contre l’autre. En revanche, le sage
va combattre ses affects inadéquats par des affects adéquats et l’affect
fondamental contre tous les affects inadéquats est la fortitudo, la vaillance,
le courage.
Appartiennent aussi
aux affects inadéquats des affects qui, à première vue, n’apparaissent pas du
tout comme tels, par exemple le repentir ou la pitié. Le sacrement de la
pénitence, la pénitence annuelle a été proclamée comme un devoir du chrétien,
au quatrième concile du Latran, en 1215, qui, avec l’intériorisation du
christianisme, a dépassé de loin, au Moyen Âge, le sacrement du baptême, ne
semble jamais avoir existé chez Spinoza. Le repentir est un affect inadéquat,
parce qu’il rend triste. Ce qui nous rend triste, cela diminue notre être. La
pitié nous rend triste, déprimé, par conséquent, tous les affects déprimants
sont par définition inadéquats. La joie, en revanche, est le signe d’un affect
adéquat et signifie un accroissement de la vie, un accroissement vital.
Chez Spinoza, cet
homme contemplatif qui a mené une vie si solitaire et si isolée, vous retrouvez
un tel souffle de la Renaissance, une telle valorisation et même
survalorisation des valeurs vitales ascendantes comme la seule chose humanisant
l’homme, comme cela n’était plus gère apparu depuis.
Contre tout ce qui
nous opprime, déprime, nous accable, nous devons opposer la vaillance. Mon
bonheur, c’est mon honneur, pourrait-on dire. Suum esse conservare, se
conserver dans l’être, conserver son véritable être, cela signifie être
courageux, être debout contre tous les affects inadéquats, contre tout ce qui
me semble arriver dans ce monde inadéquat. Je dois découvrir la nécessité et me
comporter en conséquence. Un affect tardif, un affect inadéquat, c’est l’affect
fondamental de la vertu. C’est grâce à la médiation de Machiavel que la vertu
en tant que virtus, au sens romain est réactualisée. Virtus
signifie, authentiquement, virilité ; cela a dont été mal traduit par
vertu.
Il ne s’agit pas de la vertu dont se moque Wilhelm Busch (1832-1908) « Ils ont tout derrière eux / et ils sont, dieu soit loué, assez vertueux. » C’est le concept de vertu du curé, de l’homme habillé en chemise de nuit et portant un bonnet de nuit qui s’est imposé au dix-neuvième siècle, à l’ère de la Restauration, avec le vase de nuit réchauffé. Dans le concept de vertu de Spinoza, nous trouvons le souffle, l’haleine de la Renaissance et c’est dans ce sens précis qu’on doit comprendre sa proposition au cinquième livre de l’Éthique : « La béatitude n’est pas le prix de la vertu, mais la vertu elle-même. » Cela signifie virilité, cela signifie devenir-identique avec le vrai être en nous-mêmes. C’est de cette manière que j’ai en même temps une idée adéquate, que je suis en contact avec l’être fondamental, le véritable être.
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