Néo-gothique

 

Dans Les Démons, le narrateur laisse à entendre que Stavroguine, à un certain moment, aurait appartenu à une société secrète de treize membres, qui se livraient à des orgies sataniques. Des sociétés secrètes de ce genre, comptant généralement douze ou treize membres, réapparaissaient dans son œuvre. Aliocha, dans Humiliés et Offensés, parle avec enthousiasme de « treize réunis pour discuter des questions du jour. » L’idée a dû attirer le romancier par son symbolisme religieux, le Christ et ses apôtres, et par ses liens avec la tradition schismatique russe. Mais là encore, la manière dont Dostoïevski se sert du thème ne doit pas en masquer l’arrière-plan littéraire.

Le roman néo-gothique abonde en histoire de pactes diaboliques et d’associations occultes pratiquant la magie noire et exerçant un pouvoir sur les affaires publiques et privées. Catherine de Heilbronn de Kleist en est un exemple célèbre. Balzac consacra trois romans mélodramatiques aux faits et gestes d’une ligue de ce genre où les membres s’engageaient au secret et à l’assistance mutuelle. Groupés sous le titre Histoire des treize, ces trois livres sont des bornes indicatrices sur la voie qu’emprunta la sensibilité néo-gothique pour pénétrer dans la substance du grand roman. Pour avoir une perspective opposée et essentiellement classique, on n’a qu’à se rappeler avec quelle ironie Tolstoï traite la franc-maçonnerie dans Guerre et Paix.

George Steiner : Tolstoï ou Dostoïevski

Commentaires