Mythe du sang

 

Source : Mythe aryen et rêve impérial dans la Russie du dix-neuvième siècle par Marlène Laruelle, préface de Pierre-André Taguieff, CNRS éditions, collection États, sociétés, nation, mondes russes.

Danielevski réagit lui aussi aux discours allemands et accorde, dans La Russie et l’Europe (1871), quelques paragraphes à la question raciale. Il cherche à remettre en question les propos occidentaux, en particulier ceux de Retzius qui ne sait, selon lui, justifier ses classifications : comment les Slaves, classés brachycéphales, donc de race turque, pourraient-ils avoir adopté une langue aryenne et à quel moment de leur histoire ?

Danielevski se dit prêt à distinguer, avec les Occidentaux, deux races parallèles, à condition cependant de ne sous-entendre aucune hiérarchie entre elles et de ne pas accorder de suprématie particulière au critère physique. Or, les savants germaniques ne cherchent pas, selon lui, à découvrir les spécificités physiologiques des Slaves pour elles-mêmes mais à présenter ces derniers comme une race inférieure faite pour le travail au service des races supérieures. Les traits ethnographiques et moraux semblent toujours à Danielevski plus primordiaux ; on en dit plus sur les peuples romano-germaniques en insistant sur l’importance dans leur culture de la violence et de la primauté donnée à l’individu sur le groupe qu’en mesurant leurs crânes.

Il en va de même pour Lamanski, qui récuse lui aussi les classifications raciales de Retzius. La division brachycéphales / dolichocéphales ne lui semble pas pertinente puisque ces deux critères craniologiques se retrouvent partout en Europe et ne sont spécifiques à aucun peuple : les brachycéphales forment peut-être une couche de la population européenne, mais non une nationalité. 

Pourquoi les crânes slaves, qui répondent presque aux mêmes mesures que ceux définis comme allemands, sont-ils alors classés dans des catégories différentes ? L’idée de races inférieures est de toute façon contraire au présupposé biblique d’une unité humaine et Lamanski veut croire en la perfectibilité de tous, même, dit-il, des tribus africaines. Leontev ne voit, quant à lui, dans les discours occidentaux que la confirmation de sa théorie sur le paganisme sous-jacent du nationalisme moderne : comment peut-on encore préférer défendre des appartenances factuelles et non des idées ?

La nation, création de Dieu, n’est qu’une illusion si on cherche à la définir comme une unité biologique. « Qu’est-ce qu’un peuple, sans son système idéologique et étatique ? » Pour quoi l’aimer ? Pour son sang ? Mais le sang, d’un côté, n’est pur pour personne, et Dieu sait quel sang on aime parfois quand on aime son prochain. Et qu’est-ce qu’un sang pur ? Stérilité spirituelle. Toutes les grandes nations ont un sang très mélangé. »

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