Source : Symboles de la Science sacrée, par René Guénon, éditions Gallimard, collection Tradition.
L’interprétation la
plus habituelle des deux visages de Janus est celle qui les considère comme
représentant respectivement le passé et l’avenir ; cette interprétation,
tout en étant très incomplète, n’en est pas moins exacte à un certain point de
vue. C’est pourquoi, dans un assez grand nombre de figurations, les deux
visages sont ceux d’un homme âgé et d’un homme jeune ; tel n’est
d’ailleurs pas le cas dans l’emblème de Luchon dont un examen attentif ne
permet pas de douter qu’il s’agit du Janus androgyne, ou Janus Jana. Le nom de
Diana, la déesse lunaire, n’est qu’une forme de Jana, l’aspect féminin de
Janus. Et il est à peine besoin de faire remarquer le rapport étroit de cette
forme de Janus avec certains symboles hermétiques tels que le Rebis.
Au point de vue où
le symbolisme de Janus est rapporté au temps, il y a lieu de faire une remarque
très importante : entre le passé qui n’est plus et l’avenir qui n’est pas
encore, le véritable visage de Janus, celui qui regarde le présent, n’est,
dit-on, ni l’un ni l’autre de ceux que l’on peut voir. Ce troisième visage, en
effet, est invisible parce que le présent, dans la manifestation temporelle,
n’est qu’un instant insaisissable, mais lorsqu’on s’élève au-dessus des
conditions de cette manifestation transitoire et contingente, le présent
contient au contraire toute réalité.
Le troisième visage
de Janus correspond, dans un autre symbolisme, celui de la tradition hindoue, à
l’œil frontal de Shiva, invisible aussi, puisqu’il n’est représenté par aucun
organe corporel, et qui figure « le sens de l’éternité. » Il est dit
qu’un regard de ce troisième œil réduit tout en cendres, c’est-à-dire qu’il
détruit toute manifestation ; mais, lorsque la succession est transmuée en
simultanéité, toutes choses demeurent dans « l’éternel présent », de
sorte que la destruction apparente n’est véritablement qu’une
« transformation », au sens le plus rigoureusement étymologique de ce
mot.
Par ces quelques
considérations, il est facile de comprendre déjà que Janus représente vraiment Celui
qui est, non seulement le « Maître du triple temps », désignation
appliquée à Shiva dans la doctrine hindoue, mais aussi et avant tout, le
« Seigneur de l’Éternité. » Le Christ, écrivait à ce propos M.
Charbonneau-Lassay, domine le passé et l’avenir ; coéternel avec son Père,
il est comme lui « l’Ancien des Jours » : « au commencement
était le Verbe », dit Saint Jean. Il est aussi le père et le maître des
siècles à venir : Jesu pater futuri saeculi, répète chaque jour
l’Église romaine, et Lui-même s’est proclamé le commencement et l’aboutissement
de tout : « Je suis l’Alpha et l’Oméga, le principe et la fin. »
C’est le Seigneur de l’Éternité.
Il est bien évident que le Maître des Temps ne peut être lui-même soumis au temps, qui a en lui son principe, de même que, suivant l’enseignement d’Aristote, le premier moteur de toutes choses, ou le principe du mouvement universel, est nécessairement immobile.
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