Master of Puppets

 

Pris sur Public Domain Review. Des anges, des marionnettes et des poupées — Klee et Rilke : la mise à l’épreuve de l’innocence par Kenneth Gross, adaptation de l’anglais par Ènocint catwace.

Quid de notre innocence ? Quid de notre culpabilité ? Nudité partout, nul n’est sauf.

Marianne Moore

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Le théâtre de marionnettes nous permet d’approcher un état qui pourrait être celui d’innocence : ce spectacle repose sur la même magie que les enfants qui jouent et qui, par leur imagination, transforment des objets du quotidien, en leur conférant une vie, ou en cristallisant sur eux des pensées qui n’auraient autrement jamais vu le jour. Le théâtre de marionnettes puise à des sources archaïques et contourne les règles de la bienséance ; le langage que parlent les marionnettes ressemble souvent à un babillage informe et leurs mouvements imitent ceux d’êtres à peine formés ; tout ceci renvoie à un sens du merveilleux, à un enchantement que la plupart des adultes ont abandonné derrière eux depuis longtemps.

Un jour, l’artiste marionnettiste Janie Geiser, dont les spectacles reposent souvent sur une thématique de la vulnérabilité et de la résilience, m’a déclaré : « pour moi, la marionnette n’a pas d’histoire, elle vit dans l’instant, de sorte qu’elle exprime une sorte d’innocence existentielle, de virginité qui, par contraste, rend manifestes tous les mensonges et les apparences. En conséquence, je crois que personne n’a le droit de lui reprocher sa violence, ou le malaise qu’elle peut induire, pas plus qu’au marionnettiste, par ailleurs. Au final, ce n’est qu’un bout de bois… » Diabolique en toute innocence ? L’innocence nous trouble : l’innocence gourmande de Pinocchio de Carlo Collodi, l’innocence meurtrière de Mister Punch. L’innocence nous met hors de nous-mêmes, comme Don Quichotte qui se rue sur l’estrade pour démantibuler le décor…

L’innocence de la marionnette renferme pourtant un savoir. Innocens, en latin, désigne le risque d’une exposition au péril, un manque de protection qui peut toutefois se retourner contre l’adversaire. Ainsi, malgré leur gracilité, les marionnettes de Geiser détiennent une force inquiétante, un peu comme une caricature ou un graffiti. La marionnette ouvre la porte à l’imaginaire, un trou de souris où se faufiler quand la mort frappe à la porte. L’innocence est une affaire complexe, même chez les enfants.

L’innocence peut se figer, se statufier, se pétrifier gueule et en cucul à la Gombrowicz. Innocence sauvage. Innocence en liberté. Souvent, les adultes s’imaginent que les gosses préfèrent les doudous, les nounours, les peluches inoffensives ; non seulement cette innocence à la guimauve apparaît parfois bien plus effrayante que le plus macabre des Grand-Guignol, mais elle témoigne surtout d’un profond manque de confiance envers les capacités des enfants à se plonger dans leur propre monde pour ensuite affronter la réalité. Comme le savait William Blake, l’innocence est toujours à reconquérir, à éprouver, à mettre à l’épreuve ; un devoir d’imaginaire.

Le corps d’une des poupées que Paul Klee avait réalisées pour son fils est enveloppé d’un calicot noir tacheté de rangées de petites fleurs roses et grises ; sur son torse, une grande croix blanche schématique ; sa tête pointue, pourvue d’une excroissance nasale en forme de bec, est perchée sur un long cou, elle ouvre des yeux noirs qui sont en fait des petites lunettes ; sa bouche triangulaire laisse apparaître des dents. Cette poupée à main s’appelle le Fantôme de l’Epouvantail : un effrayeur à rapaces et charognards, les mains levées haut en l’air, soit pour faire peur, soit pour dire bonjour, ou encore par surprise.

Une autre poupée présente un visage creux, fait d’une prise électrique, où l’on devine de câbles dans des tuyaux ; un culot d’ampoule lui tient lieu de cou : elle s’appelle la Fée Électrique. M. Mort, lui, présente des orbites profondément enfoncées, doute produites par la pression d’un pouce, dont on reconnaît la marque dans le plâtre mou qui lui tient lieu de crâne ; les deux orbites occupent une place énorme, peintes en noir, et en-dessous, le râtelier est bien apparent, avec toute sa dentition. Les autres poupées portent des noms évocateurs : l’Esquimau albinos, le Paysan matois, le Sultan, le Clown-longues-oreilles, le Barbier de Bagdad, le Diable au gant bagué, la Vieille fille.

Je visite le Zentrum Paul Klee de Berne, en Suisse et je déambule parmi les allées de vitrines transparentes qui contiennent une trentaine de poupées-marionnettes, les survivantes de la cinquantaine que Klee avait créées pour son fils, Félix, entre 1916 et 1925. Ces statuettes font partie de l’exposition « Paul Klee : Überall Theater » (2007) qui présentait les œuvres picturales en rapport avec le théâtre, la danse, le cirque, y compris le théâtre naturel des animaux.

On y rencontre l’effroi et la séduction : masques horrifiants, statuettes de danseurs, pantomimes, clowns fragiles, funambules à la silhouette filiforme, Pierrot brutal, « animaux comédiens », « enfants tragédiens », dessins de « chat-buffle », de « bâtard-lion », de « fier-oiseau »… ce magasin de accessoires renvoie à une dimension métaphysique, hantée par les gestes invisibles de l’esprit et de la volonté, incarnés dans ces formes bricolées, à la fois évanescentes, fluentes, un peu inquiétantes et qu’on dirait revenues du monde de l’enfance.

Cette exposition était exceptionnelle : jusqu’alors seules quelques marionnettes avaient pu quitter leur réserve tant elles sont fragiles, un cauchemar pour les conservateurs. Pourtant, à l’origine, elles visaient seulement à divertir un enfant, ou l’artiste lui-même : Klee s’est servi de plâtre, de bouts de bois, de glu, de débris de vieux vêtements, de cuir, de fourrure, de boîtes d’allumettes, et même d’ampoules électrique.

Au contraire des machines ou des mannequins costumés que son collègue du Bauhaus, Oskar Schlemmer, avait créés pour son Ballet Triadique — des clowns aussi, mais plus impersonnels, un peu comme des armures —, les marionnettes de Klee sont faites maison pour un usage domestique et privé. Aucune ne fit jamais partie du catalogue que Klee tenait depuis ses tout débuts ; en fait, ces créations occupent une place à part dans son œuvre. M. Mort est sans doute la plus ancienne : une rescapée du jeu de Polichinelle ; personnage qui, en allemand, porte le nom de Kasperle.

Impossible de quitter ces créatures du regard. Je les dévisage et elles me rendent leurs grimaces. Il y a un charme lugubre dans cet alignement de simulacres : de vilaines choses qui ont l’air ravies d’être là, dans leur laideur décomplexée, sans souci du bien et du mal, un peu comme dans une rêverie d’écolier, ce qui renforce leur puérilité, mais une puérilité qui déborde sur le champ de la vie adulte ; ce sont des machines brisées, des reliques de rites anciens, des satires qui tournent en dérision le sérieux des formes pétrifiées et des identités arrêtées : le Moine, le Poète couronné, le Nationaliste allemand.

Bien sûr, leur force réside en partie dans cette interaction entre l’humain et l’inhumain, dans le champ de forces des puissances qui les informent et les déforment, dans leurs couleurs mal assorties, dans leur abstraction et leur arbitraire. Les tableaux et les dessins de Klee nous apparaissent derrière le même voile ténu, une innocence qui est l’ouverture à l’absence, à la perte, à la peur, à l’envahissement et à l’exil. Il y a une métaphysique du tracé chez Klee, un sens de l’épure qui restitue le mouvement, l’action, l’hésitation. Dans son Carnet d’esquisses pédagogiques, on dirait que contours et lignes brouillent, s’estompent, voire absorbent ce qu’elles tentent simultanément de manifester.

Dans une autre aile de la galerie, je m’arrête un long moment devant un tableau intitulé : Labyrinthe détruit. Les lettres d’un alphabet inconnu, courbes, cunéiformes, y composent une énigme dans des teintes rougeâtres.

Klee a assemblé des corps frustes, élémentaires, à partir de chutes de tissus, de débris, parfois en les peignant, de sorte que presque toutes les poupées donnent l’impression de lever les bras au ciel dans une posture d’extase.

M. Mort, extatique. Le Français, avec sa blouse tachée de sang, extatique. La Souillon du Paysan, extatique. L’Esquimau albinos et le Clown-longues-oreilles, extatiques. Extatique aussi le solennel et orgueilleux Poète avec ses lauriers qui rebiquent. Extatique, le Moine bouddhiste avec son effrayant regard orange qui vous observe depuis une défiguration rosâtre. Extatique, le Fou de l’Absolu, bizarrement féroce, avec sa gueule plate, ses sourcils roses et ses paupières noires. Extatique, le Diable au gant bagué, avec ses cornes qui évoquent les grelots d’un fou. Extatique, le Philistin avec sa trogne piriforme de plâtre, ses globules verdâtres de hibou.

La seule marionnette qui ne lève pas les bras est celle qui représente Klee lui-même : elle n’a pas de bras du tout, elle porte un manteau de laine grise, une toque d’astrakan ; ses yeux sont très larges, en amande et il y flotte deux iris d’ambre, avec le trou noir de la pupille. Les marionnettes en extase semblent inviter le promeneur à les rejoindre dans la danse, à jouer avec elles, comme si elles-mêmes s’étonnaient d’être là, et voulaient attirer notre attention, à mains nues.

Toutes ces figurines célèbrent le pouvoir et la grâce de la fragilité, plus que la force et la puissance. Cela aussi fait partie du charme de leur innocence. Il ne s’agit pas d’une Vénus de Milo ou d’une Victoire de Samothrace. Les marionnettes savent bien qu’au fond, elles n’étaient pas censées survivre ; leur permanence est un mystère, elles nous parlent au nom de ce qui échappe aux puissances, une dimension de l’être cachée en plein jour, juste sous nos yeux ; elles n’appellent à aucune protection, pas plus qu’elles ne se vantent de leur innocence.

Je le ressens particulièrement chez les plus anciennes que je croise dans le musée, comme si les figurines de Klee provenaient d’un domaine bien plus vaste ; leur présence, leur prégnance nous témoigne d’un au-delà du visible dont elles sont les témoins ou les ambassadeurs. Ce sont les fantômes d’autres marionnettes, des graines de simulacres, porteuses d’une gestuelle qui nous échappe encore. On en revient toujours aux mains… Les mains des marionnettes, les mains du marionnettiste. Celles-ci étaient destinées à des mains enfantines, pour s’y glisser comme dans des gants, des mains capables des actes les plus spontanés, mais aussi les plus cruels.

Aussi fragiles, déjetées et inachevées ces créatures paraissent-elles, elles sont de notre temps, abîmées dans le temps. Fantômes de sensations, fixage d’émotion que d’aucuns appellent des aberrations, des clichés, de prétentieuses icônes, des formes de régression infantiles, en deçà de la réflexion et de la conscience ; ces critiques nous rappellent ces adultes qui dissimulent leur prétendue rationalité sous leurs désirs primitifs et leurs passions inavouées, peut-être inavouables. Le petit Félix, lui, s’en servait probablement pour se moquer des collègues de son père. Les marionnettes sont des enfants qui ont survécu à leur enfance, et qui restent indéfiniment accessibles à cette part de nous-mêmes, à la fois dans le monde d’hier, « il y a longtemps quand j’étais petit », et dans celui qui est à présent le nôtre, mais aussi dans un troisième et mystérieux monde intermédiaire, celui de la création.

En 1901, dans son journal, Klee écrivait : « Le futur peine à naître dans l’être humain, on ne peut le créer, il faut l’éveiller ; même les enfants connaissent cet éros. » Que dit l’épitaphe de Klee ?  « Je vis aussi bien avec les morts que parmi ceux qui ne sont pas nés. » Klee avait inventé un terme : « Schwerleicht », « Poids Léger », pour décrire ce que ses peintures tentaient d’évoquer et il s’applique sans doute aussi à ses poupées.

Lors de cette même exposition, j’ai regardé une brève vidéo qui nous montrait Félix à l’âge mûr, devenu directeur d’opéra et qui s’amusait à réanimer ces poupées que son père lui avait fabriquée un demi-siècle plus tôt. Dans le film, les marionnettes retrouvent leur grâce, leur expressivité ; ce sont de charmants et fidèles compagnons. Sketch improvisé : M. Mort avance à tapinois vers l’impassible poupée-Klee et lui murmure à l’oreille, d’une voix insinuante, caquetante, haut perchée et enfantine, d’un ton condescendant : « Tod ist Leben und Leben ist Tod. »

Bras haut levés, comme des ailes. Visages étonnés. Gaîté sans cause, jeux enfantins… même moches, les poupées à mains de Klee nous rappellent les anges qu’il a dessinés tout au long de sa carrière. Le plus célèbre, l’Angelus Novus (1920) dont Walter Benjamin fut le propriétaire. L’urgence du trait, les lignes hachées composent une créature en suspension, saisie sur le moment, dans l’effroi ou dans l’émerveillement, son haut visage rectangulaire et frisé lorgne en arrière, fixés sur une vision qui demeure hors de notre portée. Cet ange a quelque chose de clownesque et de menaçant à la fois.

Mais il y a aussi cet Ange inachevé, « Unfertiger Engel », qui figure parmi les innombrables esquisses que Klee a hâtivement crayonnées à la fin de sa vie, entre 1938 et 1939. Un être compact, qui occupe toute la page, aux ailes repliées, dirigées vers les hauteurs : une figure qui semble se débattre contre elle-même, brisée et anguleuse, souriante malgré son inachèvement, comme à demi endormie.

Les anges de Klee, dans leur immédiateté enfantine, sont pris dans le temps, comme des témoins du temps, du mauvais temps, à la fois angoissés et absorbés en eux-mêmes. Les esquisses portent des titres. L’Ange oublieux. Plus aviaire qu’angélique. Angélique mais vilain. L’Ange qui n’a pas encore appris à marcher.

Les anges et les poupées de Klee rappellent aussi un passage de la quatrième Élégie de Dunio par Rainer Maria Rilke. Le poème s’ouvre par une lamentation sur les masques troués de l’humanité : ces costumes de gestes et de mots usés, refroidis, laborieux avec lesquels nous paradons sur la scène du monde et que nous finissons par prendre pour notre être véritable et pour l’être véritable des autres. « Nous ne connaîtrons jamais les contours réels, vivants de nos propres émotions, seulement ces frontières qui les délimitent de l’extérieur. »

En écho à l’essai de Kleist sur le Théâtre de marionnettes (1810) —le dramaturge prussien y vante la force inégalée de la marionnette et son absence libératrice de toute conscience réflexive —, Rilke évoque la poupée comme le témoin d’une modalité de l’être qui déjoue le piège de l’inauthenticité. La poupée est une chose de pure surface, « un visage qui n’est qu’une apparence pleine et honnête et qui déploie sa complétude et sa choséité obstinée. » Une fois les pantins rangés, la scène vide du petit théâtre suggère la promesse d’une altérité à la fois antérieure et postérieure au monde, une altérité dont l’âge adulte hérite de l’enfance de l’humanité. Mais pour cela, il nous faut encore attendre…

« … attendre devant le théâtre des marionnettes, ou plutôt / le scruter avec intensité / jusqu’à ce que ma vision accommode sur l’ange / qui viendra insuffler vie à ces peaux / l’Ange et la Poupée : quelle belle représentation / enfin, ce que nous avons séparé par notre seule présence / pourra se réunifier. »

 « Engel und Puppe : dann ist endlich Schauspiel » À la condition de montrer assez d’amour et de concentration, la pièce sera jouée : une œuvre d’art totale. L’ange vient au secours de l’observateur désespéré ; il dénoue le jeu de patience, comme un marionnettiste qui surprend les poupées en les ramenant à l’existence. Rilke ne précise pas de quelle pièce il s’agit, ni à quoi ressemblent les acteurs. C’est à nous de le faire. En revanche, ce qu’il nous suggère c’est que l’ange ne se contente pas d’actionner les tringles : il intervient dans le jeu et arpente l’estrade comme un des comédiens ou des tragédiens, peu importe la distribution ; mais cet ange est comme dédoublé, il est aussi le grand manipulateur, réfugié dans une autre dimension.

« Au-dessus de nous, au-delà de nous / l’ange joue. » En dépit de son authenticité, une telle marionnette ne parvient pas à éviter les conséquences d’un monde déchu. En fait, Rilke révise Kleist et sa conception supra-personnelle, d’une marionnette qui nous serait supérieure parce que dépourvue de conscience et de mémoire. Rilke, lui, imagine une marionnette qui conserve en creux le souvenir d’une perte originelle, le souvenir d’un amour perdu ou empêché.

« Elle lève le rideau de son cœur sur une scène d’adieu », sur la marque de l’amour inquiet des parents de Rilke qui ne comprennent pas le désir de leur enfant, son désir d’avenir si différent du leur. Cette marionnette rilkéenne symbolise la conscience de l’enfant dont le désir porte sur des objets qui nous tournent le dos ou qui se placent hors de notre saisie. Poupées et marionnettes sont les cousins éloignés des grigris et amulettes de l’apprenti sorcier qui possèdent une vie propre, inhumaine, la vie de la matière, cette forme d’existence que Rilke, dans son essai sur les poupées, appelle « la chose-âme »

Comme tant d’autres artefacts rilkéens, la poupée-marionnette renferme une vitalité qui brouille la démarcation entre le vivant et les œuvres d’art. Son innocence reflète celle de l’enfant qui mature la connaissance de sa propre mort, un enfant qui « découpe sa mort / dans un pain gris, très dur et qui l’abandonne, là / dans sa bouche toute ronde, déchiqueté comme le trognon d’une pomme d’api. »

Ce savoir aliéné, dur, déchiqueté se transmute sans peur et sans fausse certitude ; l’enfant l’apprivoise, il en fait un ami, tout comme la poupée se transforme en compagne de jeu, « une fille, ou presque », comme dans le deuxième des Sonnets à Orphée, où la jeune fille se réveille dans son propre sommeil, dans son songe du monde, où elle rêve sa mort. Un devenir-Eurydice. Poupée compagne. Poupée sœur. Poupée vaudou. Quelque part, Rilke décrit les sculptures de Rodin comme des statues à l’intérieur desquelles s’éveille une vie inconnue, en souffrance, une vie qui, tout à coup, aboutit à un geste et qui se résume en lui, parfaite.

La poupée convoque l’ange, la possibilité d’une réintégration à l’état originel. Une innocence ou une patience conférée par l’instant, dans toute sa fragilité, pleine de possibles et qui a très peu en commun avec la nostalgie de l’innocence ou avec son idéalisation rassurante ; une innocence qui conserverait le savoir d’une perte irrémédiable. La poupée et l’ange planent sur l’enfant qui se tient « parmi l’espace infini, plein de félicité, entre le monde et le joujou / au point qui, depuis l’origine la plus reculée, / fut prédestiné à l’événement pur. »

Et pourtant, l’ange n’est ni pur, ni rédempteur, ni même. Tout poète sait que l’ange est proche du démon, une créature du temps et de la terre, plus exactement, une créature de la chute dans le temps. L’ange ne sauve pas les poupées du temps, il nous apporte la crainte et le tremblement, mais aussi l’amour. C’est une créature imprévisible, farouche, parfois maladroite, parfois dangereuse et qui pourrait même causer du mal, comme l’ange qui se bat avec Jacob. L’ange des poupées nous apporte une bénédiction douteuse, enveloppée dans une blessure, mais avec lui, nous pouvons aussi bien apprendre à danser qu’à lutter.

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