Source : Tolstoï ou Dostoïevski par George Steiner, Bibliothèque 10/18, dirigée par Jean-Claude Zylberstein, relecture 18 ans plus tard.
Les héros de
Dostoïevski, si divers par ailleurs, ont certains traits de caractère
communs : ils ne font rien, ce sont des fainéants, mais ils parlent
beaucoup et accomplissent des actes imprévus, illogiques, non justifiés par
leur situation sociale…
En jetant un regard
d’ensemble sur l’œuvre de Dostoïevski, l’homme apparaît comme placé au centre
d’un labyrinthe ; chaque chemin offre une possibilité de vie que l’homme
réalise jusqu’à ses dernières limites, jusqu’à l’absurde. Chacun de ses héros
incarne un problème vital, montre les différents écarts de la liberté et de la
possession, leurs conséquences délétères dans leur destinée. Mais, voilà que
cette bande étonnante de personnages s’est répandue à travers le labyrinthe de
la vie réelle, chacun suit sa propre voie. Ils s’interpellent, se regardent et
se reflètent l’un dans l’autre ; parfois, ils se ressemblent étrangement
et parfois, se décomposent et produisent un double qui remplit, à côté d’eux,
leur propre tâche…
Du tombeau de
Dostoïevski, le regard lumineux et énigmatique d’Aliocha se pose sur nous. En
pourtant en lui toute la complexité du labyrinthe, quoique dans des formes
affaiblies. Aliocha est orienté vers les sommets. Il passe par le mystère du
grain de blé et des noces de Cana. Nous pressentons qu’il a trouvé une voie
directe pour traverser le labyrinthe. Cette voie est entourée mystiquement par
les murs du couvent et la coupole du ciel étoilé ; et en même temps, elle
englobe toutes les impasses de la vie. C’est le mystère du lien et de l’unité
de tout le genre humain que Dostoïevski a si puissamment pénétré.
Dostoïevski n’est ni un prédicateur, ni un professeur ; ses prophéties ne donnent pas de règles de vie. L’Apocalypse ne remplace pas l’Évangile, mais il a son message particulier à apporter. Il n’enseigne pas comment il faut vivre mais il indique les principes essentiels qui gouvernement la vie ; il donne les formules de l’être et du néant. Prévoyant qu’on pourrait considérer ses œuvres comme le délire d’un malade, une invention monstrueuse, il se contente de constater que « la vérité n’est pas vraisemblable » et que « le peuple russe n’est pas vraisemblable. »
Commentaires
Enregistrer un commentaire