Extreme Noise Terror

 

Source : Les Mots et les sons, un archipel sonore, par François J. Bonnet, préface de Peter Szendy, éditions de l’Éclat, collection poche.

Le bruit peut devenir un instrument de combat, soit de façon littérale, dans les mains du groupe dominant (arme psychologique), soit dans celles de groupe se dressant contre un ordre établi. L’une des innovations désormais bien connues en matière d’armes non létale s’appelle le LRAD, Long Range Acoustic Device, dispositif acoustique de longue portée, utilisant une technologie à ultrason pour projeter des sons extrêmement forts, au-delà du seuil de la douleur et de dommages irréversibles, généralement placé à 130 dB, avec un angle de tir assez restreint, environ 30 degrés. Il a vite hérité du surnom de « canon à son » ou « bazooka sonore. »

Bruits et silences sont toujours relatifs à un contexte culturel et à un usage artistique et/ou politique. Ils reflètent plusieurs réalités, ayant toutes une validité, une pertinence et un poids dans le processus de délimitation du périmètre de son. Pour autant, bruits et silences peuvent se confondre parfois en une identité a-perceptive. Ils dessinent alors un territoire maudit, celui où le bruit ne sert qu’à engendrer le silence.

« On apprend que les militants de la R.A.F. ont été, entre autres, soumis à des expériences dites de privation sensorielle. Les sujets ont été placés dans une cellule, transformée en milieu achromatique et où tous les sons sont neutralisés, par dispositif White noise ; l’individu n’entend plus rien, pas même les bruits de son corps, battements du cœur, respiration, grincements de dents, etc. ; les cris sont inaudibles.

« À moyen terme, l’issue de l’expérience est la mort du sujet : cas de Holger Meins, à court terme, comme le dit l’un des savants responsables des progrès importants, obtenus dans cette branche, le professeur Jan Gross, « cet aspect, cette possibilité d’influencer quelqu’un par l’isolement », peut sûrement jouer un rôle positif en poenologie, la science de la punition, savoir, quand il s’agit de rééduquer un individu ou un groupe, et quand l’utilisation d’une telle dépendance unilatérale et d’une telle manipulation peut efficacement influencer le processus de rééducation. »

Ce passage résonne étrangement avec l’expérience de John Cage quand il entend les bruits irréductibles de son corps. Mais là où le silence absolu révèle à celui qui écoute son caractère d’organisme vivant, le bruit engendre l’absence totale de perception dont les effets sont funestes. L’ironie veut donc que ce soit par un bruit total qu’on s’approche le plus d’un « effet de silence. » Il y a là un renversement du rôle du bruit qui est, dans l’expérience de Cage, le révélateur du caractère vivant de l’auditeur, mais qui devient, dans les mains de la torture disciplinaire, un instrument de masquage, de surdité, de saturation de l’écoute et finalement, de mort. L’identité bruit-silence prend alors place là où le bruit de fond devient ogre.

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