Boucle

Source : Les Mots et les sons, un archipel sonore, par François J. Bonnet, préface de Peter Szendy, éditions de l’Éclat, collection poche.

Parler de tranche d’écoute revient à faire l’aveu d’une réification du sensible, d’une mise en intelligibilité du phénomène sonore. Le devenir objet du son, réalisé par sa reproductibilité, et sa faculté nouvelle de faire empreinte, concrétise sa double destination, dédouble son devenir, à la fois comme objet de connaissance et comme objet de jouissance.

Pour autant, la mise en boucle d’un son ne correspond pas absolument à la répétition à l’identique. D’une part, la relecture ne fait que simuler le son en le ré-instanciant, chaque fois identique, à l’infra-mince près, et d’autre part, l’écoute elle-même, en intégrant la précédente lecture, s’ouvre à la perception de l’accumulation de la présentation répétée du son, engendrant un système d’écoute particulier.

« Il y a, notamment, ce phénomène apparemment paradoxal qui est que la réécoute n’incite pas plus en soi à mieux faire attention à un son, au contraire. D’abord, elle est bien plus souvent ré-audition que réécoute. Réécoute voudrait dire que notre attention est toujours en éveil. Ré-audition, que quelque chose s’exprime par couches successives dans notre mémoire, mais quelque chose dont nous ne savons que faire. Souvent, plus nous ré-entendons, moins nous écoutons, puisque nous ré-entendons les grandes lignes de ce qui va se passer, sans pour autant pouvoir mieux les décrire. »

Le phénomène « répétitif-statique » que Michel Chion décrit, phénomène associé à l’autonomisation en boucle du son, témoigne perceptivement de cette même autonomisation : la boucle, en tant que boucle, participe d’une mise en stase, d’une mise en silence du son. L’autonomisation de la boucle, c’est la mise en signe du son, au détriment du son lui-même, c’est l’attention déportée du « son apparaissant » au profit de « l’apparaître du son. » Le son, en devenant objet sonore, objet de connaissance, ne s’adresse déjà plus tout à fait à la perception auditive.

La double destination du son laisse ainsi apparaître la possibilité d’une divergence en son sein même : à mesure que le son réifié devient objet de connaissance, il semble en effet perdre la faculté d’être source sensible et directe de jouissance. « Tout ce qui est atteint est détruit » écrivait Montherlant. Connaître un son, c’est, à l’aide de sa répétition indéfinie, en déceler toutes les saillances formelles et signifiantes qui vont permettre de se le représenter et de l’intégrer à un système de pensée déterminé. La réification du son en objet participe de sa localisation dans un réseau de valeurs et de signes, dans un espace déterminé.

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