Source : Mythe aryen et rêve impérial dans la Russie du dix-neuvième siècle par Marlène Laruelle, préface de Pierre-André Taguieff, CNRS éditions, collection États, sociétés, nation, mondes russes.
Diplômé de
l’Université de Saint-Pétersbourg en 1854 et élève du linguiste I. I.
Sreznevski, Lamanski mène une brillante carrière de slaviste, de linguiste, de
géographe. Il séjourne en Europe centrale de 1862 à 1864 et obtient l’année
suivante une chaire à l’Université de Saint-Pétersbourg. Il est rapidement
nommé secrétaire de la section d’ethnologie de la Société impériale de
géographie, devient le fondateur et l’éditeur du journal ethnographique de la
Société Zivaja starina, puis est élu à l’Académie des Sciences en 1899.
Il contribue à
créer une grande école de slavistes présente dans toutes les universités du
pays. Sa thèse de doctorat, De l’étude historique du monde gréco-slave en
Europe soutenue et parue en 1871, se focalise sur la version occidentale du
monde russe et se veut une réponse définitive aux « errements »
français et allemands. Tout le deuxième chapitre est ainsi consacré à des
citations et à des commentaires de textes allemands sur les Slaves. Il y
dénonce leur historiographie et leur linguistique ethno-centrées, toujours
partisanes dans leur jugement sur les Slaves et promptes à affirmer la
supériorité germanique : la thèse allemande du fonds celte des Slaves ne
servirait qu’à présenter ces derniers à l’état premier du monde, au service de
Germains assimilés aux civilisateurs européens.
Lui déplaît également l’idée de centralité développée en Allemagne : la présomption d’un Mitteleuropa s’avançant vers le monde slave revient à mongoliser la Russie. Si l’Allemagne et les Slaves sous sa domination sont au milieu de l’Europe, comment alors accuser la Russie d’être en Asie et non en Europe de l’Est ? Lamanski invite les Occidentaux à réaliser que l’humanité aryenne et chrétienne est double, romano-germanique, mais également slave.
Cette
conscience européenne devrait permettre de contrer le nationalisme prussien et
le mépris généralisé pour les Slaves qui auraient pourtant sauvé l’Europe des masses
touraniennes. « En comparant les Slaves aux Touraniens, les écrivains
allemands sont exclusivement menés par la volonté de rabaisser les Slaves et
pas du tout à expliquer notre destin. » Il dénonce également la tendance
qui se fait jour en France de différencier les alliés slaves des
« Moscovites » touraniens et cite Henri Martin, Edouard Talbot,
Casimir Delamarre. Il insiste sur l’origine polonaise de cette définition de la
Russie et ses nombreux sous-entendus politiques.
Comment la France
peut-elle ne pas comprendre que le panslavisme est son allié contre une
Allemagne qui prétend à l’exclusivité aryenne.
Lamanski consacre enfin une part non négligeable de sa réflexion aux inégalités de traitement dont sont victimes les Russes dans le discours occidental. Pourquoi les Finnois et les Hongrois seraient-il devenus « aryens de cœur » selon la formule de Henri Martin et non les Russes ? Pourquoi l’Empire serait-il synonyme de touranisation pour la Russie alors que les Américains et les Espagnols du Nouveau monde sont eux aussi métissés avec des peuples non-aryens et n’en restent pas moins considérés comme des Européens ?
La Russie ne peut selon lui être accusée de touranisme puisqu’elle a en réalité plus aryanisé ses allogène en les russifiant et en les christianisant qu’elle ne s’est elle-même touranisée. Son histoire même est celle de la lutte permanente, des Petchénègues aux Mongols, contre le monde steppique du Touran.
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