Source : Les Mots et les sons, un archipel sonore, par François J. Bonnet, préface de Peter Szendyn éditions de l’Éclat, collection poche.
Les problématiques liées au silence forment un monde
vaste où il est aisé de se perdre. Pour atteindre le propre du silence,
c’est-à-dire sa dimension sensible, il faut partie à sa recherche, chercher à
l’éprouver. Une telle expérience a été réalisée dans les années cinquante par
John Cage.
« Lorsque, entrant dans une chambre anéchoïde,
aussi silencieuse qu’il est techniquement possible en 1951, on découvre qu’on
entend deux sons créés non intentionnellement par soi-même (l’opération
systématique des nerfs, la circulation du sang), alors la situation dans
laquelle de toute évidence on se trouve n’est pas objective (son silence), mais
bien plutôt subjective, uniquement des sons. »
Les nombreux commentaires traitant de cette expérience
aboutissent la plupart du temps l’assertion suivante : « Le silence
n’existe pas. » Or, précisément, le silence ex-iste, se tient en dehors de
notre champ d’expérience. Le silence absolu existe bel et bien. Dans un espace
où aucun médium ne permet de le transmettre, dans le vide, le silence règne.
Mais ce que révèle l’expérience de Cage, c’est que personne, jamais ne pourra
percevoir le silence, que le silence est proprement inaudible. On ne pourra
jamais faire l’expérience de l’absence de son. Le silence existe, mais pour
personne. Aucune écoute ne peut l’atteindre. Aussi, un auditeur, lui-même
émetteur de bruit et subjectivement responsable de sa perception, ne pourra
jamais entendre le silence.
On considère donc le silence comme une absence de son.
L’expérience de Cage montre que cette absence. Cependant, elle peut être,
parfois, suffisante. Dans chaque contexte sonore, il existe un seuil de bruit
en deçà duquel le silence règne, c’est-à-dire en deçà duquel le son est
inaudible. L’oreille aurait pu l’entendre, mais elle n’y a pas porté attention.
La mémoire l’a oublié, il n’a pas fait trace. Il n’a, pour l’auditeur, jamais
existé en tant que son, mais seulement en tant que silence. Un tel silence,
parfois, se nomme bruit de fond.
Le silence est ainsi toujours déjà son, tout en étant
dans le même temps la limite absolue de sa disparition. Si le silence est
toujours sonore, s’il est toujours bruit, alors, comme le suggère Daniel
Charles, « ne faut-il pas aller jusqu’au bout et poser l’identité du
silence et du bruit ? »
Une telle identité constitue le bruit de fon, son qui n’est déjà plus présent, mais pas tout à fait absent, bruit qui ne se présente pas à l’écoute, car l’écoute le néglige. Mais si le bruit et le silence peuvent se rejoindre et s’identifier sur cette ligne de crête qu’est le bruit de fond, ils ne sont pas pour autant assimilables l’un à l’autre au regard de leurs fonctions symboliques, sociales ou sacrées.
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