Source : La Fête de l’insignifiance par Milan Kundera, éditions Gallimard, collection Folio.
— Se sentir ou ne pas se sentir coupable, je pense que
tout est là. La vie est une lutte de tous contre tous. Mais comment cette lutte
se déroule-t-elle dans une société plus ou moins civilisée ? Les gens ne
peuvent pas se ruer les uns sur les autres dès qu’ils s’aperçoivent. Au lieu de
cela, ils essaient de jeter sur autrui l’opprobre de la culpabilité. Gagnera
qui réussira à rendre l’autre coupable. Perdra celui qui avouera sa faute. Tu
vas dans la rue, plongé dans tes pensées. Venant vers toi, une fille, comme si
elle était seule, marche droit devant elle, sans regarder ni à gauche ni à droite,
mais droit devant elle. Vous vous bousculez.
« Et voilà le moment de vérité. Qui va engueuler
l’autre ? Qui va s’excuser ? C’est une situation modèle : en
réalité, chacun des deux est à la fois le bousculé et le bousculant. Et
pourtant, il y en a qui se considèrent immédiatement, spontanément, comme
bousculants, donc comme coupables. Et il y en a d’autres qui se voient
toujours, immédiatement, spontanément, comme bousculés, donc dans leur droit,
prêts à accuser l’autre et à le faire punir. Toi, dans cette situation, tu
t’excuserais ou tu accuserais ?
— Moi, certainement, je m’excuserais.
— Ah, mon pauvre, tu appartiens donc, toi aussi, à
l’armée des excusards. Tu penses pouvoir amadouer l’autre par tes excuses.
— Certainement.
— Et tu te trompes. Qui s’excuse se déclare coupable. Et si tu te déclares coupable, tu encourages l’autre à t’injurier, à te dénoncer, publiquement, jusqu’à ta mort. Ce sont les conséquences fatales de la première excuse.
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