Transsibérien

Source : Le Semeur d’yeux, Sentiers de Varlam Chalamov, par Luba Jurgenson, éditions Verdier.

La main coupée : en russe, la main et le bras sont désignés par un même mot. Le corps mutilé est à l’honneur chez les avant-gardistes russes, ainsi que le proclament Kroutchenykh et Khlebnikov dans leur manifeste de 1913. Le Verbe en tant que tel : « Les peintres futuriens aiment utiliser des parties du corps, des coupes, et les futuriens créateurs du verbe utilisent des mots hachés, des moitiés de mots et leurs combinaisons alambiquées (langue transmentale) » (Khlebnikov 1)

Chalamov lisait Khlebnikov avant de lire Pouchkine, ou plutôt Khlebnikov lui a été proche avant que Pouchkine le devienne. Chez les futuristes, donc, le corps mutilé figure le procédé lui-même, qui ne fait qu’un avec le matériau. Le procédé est la matière même du texte (L’Art comme procédé de Chlovski) Chalamov ne hache pas les mots, à l’exception du « enco— » tronqué qui marque le début de la grande terreur de la Kolyma ; il n’utilise pas la langue transmentale mais utilise son vécu en séquences, les temps de son séjour à la Kolyma en fragments.

Le manifeste de Khroutchenykh et Khlebnikov est écrit au cours de la dernière année du calendrier humain, l’année 1913. Ensuite, commence le véritable vingtième siècle, c’est-à-dire la guerre de 1914, selon l’expression d’Akhmatova et la Russie disparaît, pour toujours. Le procédé se fait chair, pas seulement en Russie, mais partout en Europe, où des morceaux de vrais corps pulvérisés par des obus volent dans le ciel.

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