En 1922, l’année de sa mort, année qui couronne une
période de terreur, de famine et de violence inouïe, Khlebnikov, constatant
l’impouvoir de la langue à transformer le réel, lui qui se croyait acteur et
instigateur de la Révolution, écrit son « Histrion solitaire. » Le
« Président du globe terrestre », le faiseur de mondes n’est plus
qu’un « faiseur de visages », le sens littéral du mot russe « lisedeï »,
« histrion. » Las et aveugle, le témoin sort du labyrinthe portant la
tête du Minotaure et constate que personne ne le voit. Chalamov, lui, ne sort
pas du labyrinthe de la Kolyma et copie dans son Carnet, ce dernier quatrain de
l’Histrion solitaire :
Et avec horreur
J’ai compris que j’étais invisible à quiconque
Qu’il fallait semer des yeux
Que le semeur d’yeux devait venir
Entre invisibles, on se comprend. Faisons dire à
Chalamov : « Cela s’est accompli, il est venu. Le semeur d’yeux,
c’est moi. »
Luba Jurgenson : Le Semeur d’yeux
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