Brûler ses textes, c’est comme monter au bûcher.
Chalamov parle de sacrifice, d’holocauste. « Je me mis à les brûler. Il
est apparu qu’il est bien difficile de brûler du papier ordinaire sur un feu
ordinaire. J’y ai passé la nuit… il était clair que le feu ne voulait pas de
mes poèmes, tant que je ne lui aurais restitués moi-même, feuillets après
feuillet. » « Restituer : les poèmes sont rendus au feu comme à
l’élément dont ils sont issus parce que provenant de l’enfer ? Ou parce que
le sacrifice doit être agréé par Dieu ? Ou de par leur nature ignée ?
En évoquant cet épisode, Chalamov parcourt la littérature russe :
Dostoïevski, L’Idiot, Nastassia Filippovna jette au feu une liasse de billets
de banque, un million de roubles. Les Femmes russes de Nekrassov : on
brûle des livres. Le papier se consume lentement. Les archives des parents de
Chalamov furent également livrées au feu pendant qu’il était à la Kolyma :
réaction « normale » de la famille à son arrestation. « Je n’ai
pas trouvé la force de lui en vouloir. » Des flammes jaillira le
verbe : les feuillets y retournent et comme dans leur élément, mais à
condition que le poète les confie au feu de ses propres mains.
Luba Jurgenson : Le Semeur d’yeux
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