Source : Judas, traître ou initié ? par Émile Gillabert, édition Dervy, collection Poche
Les gnostiques rejetèrent l’interprétation littérale de
la Résurrection. Ils évitent à la fois les deux extrêmes que les religions
juives et chrétiennes n’ont pas réussi à transcende, à savoir, d’une part
l’identification de l’être au corps, et d’autre part, l’angélisme sous ses
divers aspects, lequel n’est finalement que la réaction à un matérialisme
grossier. Le culte du corps amène par contrecoup le mépris du corps. Le
déchaînement des passions engendre par opposition la méfiance envers la chair.
Le monde grec, pas plus que le monde judéo-chrétien, n’a su trouver l’équilibre
entre le corps et l’esprit. Le platonisme répondait par une suspicion de la
chair au sensualisme dionysiaque.
Jésus, par ses paroles, inaugure la voie du juste
milieu entre l’incarnationnisme primaire et l’idéalisme coupé de la vie. Pour
nous en convaincre, il nous faut revenir avant la récupération de son message
et son insertion dans l’aventure messianique. Puisqu’il nous a dit à maintes
reprises que les vivants ne meurent pas, que celui qui écoute sa parole est
déjà passé de la mort à la vie, que celui qui mange sa chair et boit son sang a
la vie éternelle, etc., il va de soi que Jésus, le Vivant par excellence, ne meurt
pas ; il va de soi également que le Vivant n’est pas identifié à son
corps. Et parce qu’il n’est pas identifié à son corps, la passion et la
crucifixion n’ont en rien altéré sa réalité suprême. C’est du reste ce
qu’enseigne le Coran : « Ils ne l’ont pas crucifié, cela leur est
apparu ainsi. »
Dès le début de l’Église, les gnostiques, s’appuyant
sur les paroles mêmes de Jésus, interprétaient la Résurrection d’une façon
totalement différente des chrétiens. Synonyme d’éveil à une réalité
transcendante, la Résurrection est appelée dans l’Évangile de Jean la Vie
éternelle : « Celui qui est à l’écoute de ma parole… à la vie
Éternelle, il est passé de la mort à la vie. » (Jn 5.24)
Le mot vie éternelle ou simplement vie, mais avec la
même acception, revient plus de quarante fois dans l’Évangile de Jean et
toujours pour signifier une métanoïa en dehors de toute projection dans le
devenir. On oppose habituellement vie et mort, or, si cette opposition vaut
pour le psychique, elle n’a pas de sens pour le gnostique. Celui-ci associe
naissance et mort et non vie et mort. La vie dont parle Jésus est cachée par le
psychisme, mais chez certains être, elle ne l’est pas au point d’être
irrémédiablement engloutie : Heureux celui qui était déjà avant d’exister.
(Évangile de Thomas)
Les gnostiques avaient compris qu’li fallait mourir à
ce qui est apparent pour réaliser ce qui ne passe pas. Dans un texte de Nag
Hammadi, le Traité de résurrection, le maître anonyme s’adresse à Réginos, son
élève : « N’allez pas croire que la Résurrection est une apparition
(phantasia) On devrait soutenir que le monde est une apparition plutôt que la
Résurrection. Le maître parle à Réginos de l’existence humaine come de la mort
spirituelle, alors que la Résurrection est le moment de l’illumination et il
conclut : « Cela signifie que tu peux ressusciter des morts dès
maintenant… Pourquoi ne t’examines-tu pas toi-même et ne vois-tu pas que tu es
ressuscité ? Faut-il ajouter que cet enseignement est tout à fait dans la
ligne de l’Évangile de Jean et de l’Évangile de selon Thomas ,
Un autre traité de Nag Hammadi, l’Évangile selon Philippe, va encore plus loin dans son rejet de la doctrine paulienne de la Résurrection ; il tourne en ridicule les chrétiens ignorants qui prennent à la lettre les croyances à la résurrection des corps : Ceux qui disent qu’ils mourront d’abord, puis se relèveront sont dans l’erreur. L’auteur invite à accueillir la Résurrection alors qu’on est en vie.
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