Source : Judas, traître ou initié ? par Émile Gillabert, édition Dervy, collection Poche
La promesse que Jésus fait presque à la fin de
l’Évangile selon Thomas est déjà devenue pour lui la suprême réalité :
« Celui qui boit à ma bouche sera comme moi, mais moi aussi, je serai
comme lui, et ce qui est caché lui sera révélé. »
Thomas s’est abreuvé à la bouche de Jésus. Son identité
avec le Maître résulte de cette intimité qui a fait fondre les apparences pour
révéler l’Un. Thomas s’est reconnu en Jésus comme Jésus s’est reconnu en
Thomas. Chacun peut dire : Je suis toi, tu es moi. C’est du reste
ce que veulent dire essentiellement et avec force, la répétition l’atteste, les
noms Didyme Judas Thomas. Après avoir définitivement libéré Thomas de toute
sujétion, Jésus le confirme dans son élection en le prenant à part. Désormais,
il peut révéler à son alter ego ses secrets les plus intimes, il peut lui
confier ses desseins les plus impénétrables aux profanes. Le texte précise
qu’il lui dit trois mots. Lesquels ? Certainement les mots qui sont
révélateurs de l’identité. Et quels mots attestent mieux l’identité commune que
Didyme Judas Thomas ?
Il est facile d’imaginer le dépit, la frustration et la jalousie des autres disciples à la vue de ce qui vient de se passer. Toutefois, Thomas ne va pas faire bande à part. Comme Jésus, il est au monde sans être au monde ; comme lui, il s’est trouvé dans sa réalité ultime et il peut faire siennes les paroles qu’il a transcrites, dont celle-ci : Celui qui se trouve lui-même, le monde n’est pas digne de lui.
Lorsque Thomas revient
vers ses compagnons, ceux-ci s’empressent de l’interroger sur ce que Jésus a pu
lui dire. Mais Thomas, comme Jésus, sait désormais qu’il ne peut dire ses
mystères qu’à ceux qui en sont dignes. Sa mise au point est riche
d’enseignements : Si je vous disais une des paroles qu’il m’a dites,
vous prendriez des pierres, vous les jetteriez contre moi, et le feu sortirait
des pierres et elles vous brûleraient. La curiosité peut être déplacée et
comporter de graves dangers, voire mortels. En prenant des pierres pour lapider
Thomas, les disciples agiraient comme les juifs qui, à plusieurs reprises,
veulent lapider Jésus.
L’Évangile de Jean contient à ce sujet plusieurs épisodes révélateurs, en particulier celui où Jésus se situe par rapport au père de la race juive : Abraham, votre père exulta à la pensée de voir mon jour… (Jn 8-56) La réplique des Juifs permet de mesurer leur degré d’incompréhension : Tu n’as pas cinquante ans et tu as vu Abraham.
Jésus qui semble n’avoir plus rien à perdre lance la phrase déroutante et
insultante pour le profane, évidente pour celui qui, comme Didyme Judas Thomas,
a réalisé sa véritable identité : avant qu’Abraham fût, Je suis. Après
cette parole, les Juifs ramassèrent des pierres pour les lui jeter, mais Jésus
se déroba (Jn 8, 56-57) À une autre occasion, Jésus parle de sa relation au
Père pour conclure : Le Père est moi sommes Un. Les juifs, qui
l’accusent de blasphémer, prennent à nouveau des pierres pour le lapider. (Jn
10. 30-33)
On peut se demander si Jésus n’a pas manqué de prudence en livrant au monde ce que celui-ci n’était pas à même de comprendre et qui ne pouvait manquer d’être récupéré et adultéré. La réponse à une telle question est complexe. Tout en étant conscient du danger qu’il courait et faisait courir — je dis mes mystères à ceux qui sont dignes de mes mystères.
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