Face au Styx

 

Source : Vladimir Soloviev et son œuvre messianique par Dimitri Strémoukov, éditions de L’Âge d’Homme, collection Sophia.

Son activité, qui se poursuit jusqu’en 1894, trouve deux sortes d’adversaires : les uns nient la liberté religieuse au nom de la raison d’État et les autres, qui ont leur représentant en la personne de Vassily Rozanov, s’élèvent par principe contre la tolérance et n’admettent la liberté religieuse que pour la foi qu’ils professent eux-mêmes. Soloviev réclame à présent une garantie légale pour cette liberté de culte, ce qui tend à le rapprocher des libéraux. Mais le découragement s’empare de l’âme du philosophe et il commence à douter de son œuvre. Ainsi, en 1892, il écrit :

Le vent du pays de l’Ouest / Amoncelle les larmes / Le ciel pleure, la forêt gémit / En agitant les pins / Ce sont du pays des morts / Des hurlements qui nous arrivent… / Le cœur entend et tremble / Les larmes coulent et coulent / Le vent de l’Ouest s’est apaisé / Le Ciel a souri / Mais du pays des morts / Le cœur n’est pas revenu…

Le pessimisme de ces dernières strophes semblerait bien noir, si dans une lettre le poète ne s’expliquait : « chose étrange, dit-il, dès que ce sentiment s’est exprimé tout à fait sincèrement en vers, il a cessé d’exister dans la réalité : non seulement le cœur est rentré du pays des morts, mais encore, il espère amener au monde de Dieu les morts eux-mêmes, les Orientaux aussi bien que les Occidentaux. »

Soloviev doute. Il est découragé, mais il est encore bien loin du pessimisme absolu, comme l’attestent ses poésies des années 1892-1894. Ainsi, il écrit encore :

L’étoile d’Aphrodite a pâli / La vieille lutte s’échauffe de nouveau… / Le Soleil, le Soleil a encore vaincu.

L’insuccès de son œuvre n’entraîne donc pas le pessimisme absolu. Malgré ses doutes, Soloviev continue à croire à la possibilité de réaliser le grand rêve de l’incarnation de la Sagesse divine, mais dorénavant, la reconstruction du système se fera dans deux sens ; d’un côté, ce sera la politique chrétienne et libérale, conséquence de l’insuccès de l’œuvre théocratique, de l’autre le développement de l’aspect théurgique de l’œuvre, que Soloviev n’avait encore abordé ni dans la première partie (théosophique), ni dans la seconde partie (théocratique) de sa vie.

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