Source : La Puissance et la Foi, essais de théologie politique, par Alain de Benoist, éditions Pierre-Guillaume de Roux.
Contredisant ceux
qui pensent que la doctrine du péché originel est foncièrement pessimiste, un
auteur comme George Steiner souligne au contraire « l’optimisme » des
théologies juive et chrétienne, ce qui l’amène à attribuer à leur influence
sécularisée la disparition de l’esprit tragique à l’époque moderne.
Pour les Grecs,
explique-t-il, la tragédie implique que les forces qui mettent en forme ou qui
détruisent nos existences échappent à la fois aux lois de la justice et de la
raison. La tragédie grecque est en ce sens profondément pessimiste car le
destin dépend de forces incontrôlables. Pour les Juifs et les Chrétiens, au
contraire, l’ordre naturel est accessible à la raison et Dieu ne se comporte
pas de façon absurde. Job souffre de mille maux, mais il est finalement
récompensé par Dieu. Le Christ est crucifié, mais il est ressuscité, etc.
Le même optimisme
se retrouve dans la pensée des Lumières, dans le libéralisme et dans le
marxisme. La modernité est fondamentalement anti-tragique parce qu’elle est
optimiste, d’autant plus qu’elle est portée par l’idéologie du progrès. À
l’époque moderne, la tragédie a été remplacée par le drame, sinon par le
mélodrame…
Depuis le début des années 1960, Steiner est revenu sur cette problématique. Il affirme notamment que le « péché originel » n’est pas une catégorie tragique dans la mesure même où il laisse entrevoir une possibilité de rédemption. « Ce que j’appelle au contraire tragédie absolue, écrit-il, ne postule pas seulement la Chute… Elle suppose aussi, explicitement ou implicitement, l’intuition qu’aucune réparation de type messianique ou christologique n’interviendra jamais. Il n’y a pas de felix culpa mais seulement l’éternité de la faute et de la malédiction, mais aussi l’éminente dignité de l’homme qui refuse de se pardonner lui-même ou de pardonner la peine qu’il a subie. »
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