Serial Tuileur

 

Pris sur le site du Cesnur. La nature de l’idéologie d’Anders Breivik : ce n’est pas un chrétien intégriste par Massimo Introvigne, traduction de l’anglais par Ènocint catwace, no copyright infringement intended. 

Au départ, les médias ont signalé Anders Behring Breivik comme un intégriste chrétien, et certains même [la RTBF entre autres] comme un catholique. En réalité, Breivik appartenait à une tout autre mouvance comme le prouvent les vidéos qu’il postait sur document.no [un site d’information norvégien] et son opus de 1500 pages, intitulé « 2083 : Déclaration d’indépendance européenne. » Remarquablement, ce traité fut rendu accessible sur la toile par Kevin Slaughter qui l’avait trouvé sur Stormfront.org, un forum suprémaciste blanc américain. Slaughter a été ordonné prêtre de l’Église de Satan par Anton LaVey, laquelle bénéficie par ailleurs d’une large audience en Norvège.

D’après le profil de sa page Facebook, Breivik manifeste un grand intérêt pour la franc-maçonnerie et il pose en tenue d’apparat : son tablier l’identifie comme membre de la Loge de Saint-Jean, soit l’Ordre de la maçonnerie norvégienne, l’obédience régulière du pays, ce qui a été confirmé par la Loge de Saint-Jean d’Oslo, qui n’a d’ailleurs procédé à sa radiation qu’après son emprisonnement. La Loge de Saint-Jean reconnaît les trois premiers degrés et suit le rite suédois. Bien sûr, aucun « catholique intégriste » n’appartient à une telle organisation et d’autre part, Breivik était également un amateur de jeux de rôles en ligne comme World of Warcraft, Fallout et Bioschock, ainsi qu’un fan de séries télévisées sur les vampires comme Blood Ties, des goûts tout aussi impensables pour un catholique intégriste.

Dans son traité, Breivik préconise le retour à une société patriarcale et à la famille traditionnelle mais, à la veille de commettre son attentat, il annonçait : « J’ai consacré 2000 euros sur mon budget d’opérations pour passer une soirée avec une escort-girl de haut niveau avant d’exécuter ma mission : après tout, baiser en dehors du mariage est un péché véniel. » Quel catholique intégriste admettrait de tels principes ? D’autre part, Breivik se disait favorable à l’avortement « si l’embryon présente des handicaps physiques ou mentaux » ainsi que dans d’autres cas, bien qu’il considérât l’avortement comme regrettable. Dans ses posts sur la toile, il se vantait de son amitié avec le développeur du site de rencontres rapides le plus célèbre de Norvège.

S’il ne s’agit pas d’un fondamentaliste religieux, de quel bord est-il ? On pourrait évacuer le problème : à quoi bon s’intéresser aux croyances d’un fou ? Mais son livre prouve qu’il y a bien une logique dans sa folie, bien qu’il se contredise parfois et qu’il semble atteint de mégalomanie. Breivik fait constamment référence à Pim Fortuyn, le populiste homosexuel hollandais, assassiné en 2002 [par un gauchiste] et qui affirmait que l’Europe était en péril, menacée de submersion par l’islam, qu’il considérait comme une incarnation du mal. Un tiers du livre de Breivik reprend la rhétorique d’auteurs antimusulmans, des plus mainstream aux plus extrêmes et paranoïaques.

Selon Breivik, pour arrêter l’islam, la seule solution est de ratisser le plus large possible. Les églises chrétiennes peuvent-elles entrer dans la coalition ? Breivik affirme que ses parents, issus d’un milieu aisé, ne l’ont pas baptisé et qu’il a été éduqué dans un milieu plutôt agnostique, mais qu’à l’âge de quinze ans, il a rejoint l’église luthérienne de Norvège avant de comprendre que le protestantisme est vendu à la gauche immigrationniste au lieu de s’associer aux catholiques qui, selon lui, ont davantage conservé le sens des traditions européennes.

Cependant, il décoche ses flèches au pape Benoît XVI, coupable selon lui d’avoir abandonné le christianisme, d’être « un couard, un incompétent, un pape corrompu et illégitime. » En conséquence, Breivik préconisait de se débarrasser des dirigeants des églises protestantes et catholiques, puis se procéder à un grand conclave européen qui aurait établi un nouveau culte. Cette nouvelle église aurait régné sur l’Europe pour autant qu’elle refuse de se mêler d’affaires politiques ou culturelles, y compris la science, la recherche et développement et tout ce qui a trait à la sexualité, à la procréation, aux politiques démographiques.

En bref, Breivik considère le christianisme comme un simple outil au service d’une élite politique qui renverrait l’église à des domaines purement spirituels.

Si l’islam est l’ennemi absolu de Breivik, le judaïsme, du moins l’idée qu’il se fait du judaïsme, représente une force alliée dans son combat, voire comme un recours et une ressource. Breivik est fanatiquement pro-sioniste et pro-Israël et anti-arabe. Selon lui, les Juifs sont les plus nobles et les plus courageux occidentaux. En conséquence, il abhorre Hitler : « Lorsqu’on me demande si je suis national-socialiste, je suis profondément choqué. Il n’existe pas de personnage historique que je déteste davantage qu’Adolf Hitler et si je pouvais voyager dans le temps pour remonter jusqu’à Berlin en 1933, j’irais directement l’assassiner. »

Les nationaux-socialistes ont bien quelques valeurs dont Breivik se sent proche mais, selon lui, Hitler a commis le pire des crimes : il n’a pas compris le haut potentiel ethnique, culturel et même racial que représentaient les Juifs, les seuls alliés possibles pour la race nordique européenne contre le communisme et l’islam. Selon Breivik,  l’islam, le nazisme et le communisme reposent sur les mêmes principes. Dans un mauvais anglais, il écrit : « Il n’y a pas de différence entre musulmans, nazis et marxistes. Toutes les idéologies haineuses devraient être traitées de la même manière. »

Les références de Breivik aux peuples nordiques européens font souterrainement écho à l’israélisme britannique, une doctrine selon laquelle les Européens du nord, en particulier les Britanniques et les Scandinaves sont les descendants des Tribus perdues d’Israël : les Danois seraient la tribu de Dan, alors que les Juifs, eux, proviennent de la tribu de Judas. Si certaines branches du mouvement voient dans les Juifs des proches, d’autres, plus antisémites, affirment que les Juifs d’Europe seraient en fait des Khazars convertis au Judaïsme au huitième siècle.

Breivik ne cite pas explicitement ce mouvement ; il fait davantage référence à la British English Defense League et à d’autres organisations anti-islamistes. Un des auteurs qu’il cite le plus est le blogger anti-islam Fjordman, lequel, après l’attentat, a publié un démenti comme quoi il n’avait jamais rencontré Breivik. Fjordman, lui non plus, n’apprécie guère le christianisme : Vatican II ne trouve grâce à ses yeux que par son ouverture aux juifs et aux autres christianismes. Dans un texte cité par Breivik, il écrit : « Vatican II a permis d’élargir le catholicisme aux protestants et aux orthodoxes, ainsi qu’aux Juifs, mais le problème reste l’Islam. » Selon Fjordman, au cours des siècles, le christianisme aurait perdu ses éléments païens et serait désormais une menace comparable au marxisme. »

Breivik ratisse large : il rappelle aux homosexuels que l’islam recommande le meurtre des gays. Il en appelle également au mouvement humaniste particulièrement important en Norvège et lui recommande de se détourner de son antichristianisme. Paradoxalement, il n’y a rien d’étonnant à ce que Breivik ait attiré l’attention de l’Église américaine de Satan de LaVey, bien qu’on ne trouve aucun contact direct.

En Norvège, l’Église de LaVey s’est illustrée en s’associant à l’extrême droite anti-immigrationniste et en se détournant de l’occultisme au profit d’une approche plus politique et économique, basée sur les écrits de la polémiste et romancière américaine d’origine russe Ayn Rand (1905-1982). Parmi d’autres alliés improbables de Breivik, citons les roms et les tziganes : au contraire de nombreux historiens et anthropologues, il pense que ces populations auraient jadis été réduits en esclavage par les musulmans et il préconise leur ralliement à la croisade anti-islam tout en leur promettant une récompense sous la forme d’un État libre indépendant dans la néo-Europe.

Toujours selon lui, en 2002, il aurait établi à Londres, avec huit de ses amis, une obédience néo-templière du nom de Pauperes Commilitones Christi Templique Solomonici, les Pauvres Compagnons Soldats du Christ et du Temple de Salomon. Mais il se pourrait que le PCCTS ne soit qu’une fable et la police enquête encore sur le sujet. Toutefois, il est avéré que Breivik s’inspire des rituels et des tenues de la maçonnerie templière telle qu’elle subsiste aujourd’hui en Norvège, dans des obédiences plutôt conservatives politiquement parlant ; selon lui, cette tradition jouerait toujours un rôle essentiel dans les sociétés modernes, bien que sans portée réelle, d’un point de vue militaire, malgré les principes fondamentaux qu’elle prétend incarner.

Les chrétiens, qu’ils soient agnostiques ou de tendance plus « maurassienne », pouvaient rejoindre le PCCTS pour devenir des Chevaliers ; le but de l’organisation comportait trois phases. Tout d’abord, entre 1999 et 2030, l’Europe en dormition devait se réveiller à la sinistre réalité au cours d’une guerre civile contre les envahisseurs musulmans ; ce réveil devait avoir lieu au moyen « d’attaques surprises et létales » menées par des petites cellules clandestines, parfois par un seul homme, qui traquerait les traîtres dans tous les partis politiques favorables à l’immigration, ou en menant des attaques contre les infrastructures favorables au multiculturalisme.

Dans le plan de campagne pour l’Italie, il fallait frapper seize raffineries d’essence, ainsi que les quatre principaux partis politiques, à  la fois conservateurs et progressistes, et liquider ainsi environ 60.000 traîtres dans le pays. Mais Breivik avait bien conscience que très peu de personnes seraient prêtes à aller jusqu’à des « attaques aussi cruelles » ; les responsables seraient qualifiés de terroristes et d’assassins, mais ce « martyr psychologique » était le prix à payer pour les Chevalier Justiciers qui en avaient fait le serment sur leur vie.

Dans la seconde phase, entre 2030 et 2070, les attaques surprises devaient dégénérer en guérilla urbaine et en coups d’État pour renverser les gouvernements européens. Lors de la troisième phase, entre 2070 et 2083, la véritable guerre civile européenne se déroulerait entre Européens de souche et immigrés musulmans. Elle se terminerait par l’extermination de ces derniers ou leur déportation en dehors de l’Europe. Breivik se réclamait de l’École de Pensée viennoise, dont le représentant était Fjordman et dont le nom provenait de la bataille de Vienne de 1683. Il citait également le blog intitulé The Brussels Journal comme illustrant cette mouvance.

Dans la narration de Breivik, les criminels de guerre serbes étaient de véritables héros européens qui combattaient l’islam et qui le soutenaient ses amis et lui ; Breivik se décrivait voyageant jusqu’au Libéria où il rencontrait Radovan Karadzic, « ce vaillant croisé et héros de guerre. » En réalité, Breivik n’a jamais accompli son service militaire [et qu’il ait commis son attentat comme un lâche en frappant  à distance, signe sa détestable mentalité], ce qui ne l’empêche pas de parader en uniforme, avec toutes sortes d’armes de guerre, y compris des vestes pare-balles et même... des chaussettes pare-balles, trop souvent négligées selon lui. Prodiges et merveilles de l’Internet qui permet à tout un chacun de s’équiper et d’obtenir des informations grâce à des sites terroristes pour mener sa propre guerre de loup solitaire.

Reste un point d’interrogation : Breivik a-t-il agi seul ou avait-il des complices ?

[Note : le premier massacre de masse des années 2000, bien avant les attentats de Charlie Hebdo ou le Bataclan, fut commis par… un franc-maçon, ce qui laisse songeur quand on sait le rôle qu’ont joué certaines obédiences, principalement bruxelloises, dans l’immigration musulmane en Europe.]

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